Le leadership, un moteur pour l’innovation ?

La créativité est traditionnellement définie comme la production d’idées certes nouvelles, mais aussi utiles à l’entreprise1. Les équipes chargées d’imaginer des solutions et des produits nouveaux sont intriquées dans ces deux nécessités.

Les chercheurs de divers horizons (sciences cognitives, gestion, …) ont souvent prêtés attention aux relations entre les membres de l’équipe de projet et leurs impacts sur la créativité. D’autres se sont intéressées à l’effet que pouvait avoir le type de leadership. Mais il en est moins qui, comme nous ici, portent leur attention sur les interactions qui lient le leader à son équipe de travail et leurs conséquences sur la génération d’idées innovantes.

Créativité et incertitude

Du manque d’informations à l’incertitude cognitive

Comme nous le disions, ce qui caractérise ces idées créatives n’est pas seulement leur nouveauté, mais également leur utilité1. En cela, la production d’idées créatives n’est pas un processus chaotique, mais est au contraire en lien étroit avec les besoins de l’organisation. Toute idée n’est pas à même de répondre efficacement à ces besoins. Il s’agit pour le déterminer, d’avoir les informations nécessaires. En effet, sans connaissance des opportunités d’utilisation d’une idée, le salarié ne peut être certain de sa pertinence.

Or de nombreux salariés, pris par leur travail, n’ont simplement pas le temps d’entretenir correctement des interactions sociales élaborées avec des membres variés de l’organisation, c’est-à-dire des collègues issus de différents départements et de différents niveaux de l’entreprise. De même, malgré que les entreprises fassent souvent l’effort de mettre en place des intranets ou des plateformes de transmission de l’information, il reste difficile pour la plupart des salariés de s’y investir pleinement. Ainsi, ils peinent à en retirer les informations nécessaires et ne peuvent avoir accès à une vision globale de l’organisation.

Notamment, ils manquent de données claires et précises concernant les orientations stratégiques de leur entreprise ou les productions des autres départements de l’organisation. Cette situation est à l’origine d’une certaine incertitude cognitive, puisque les salariés ne peuvent évaluer avec précision l’utilité de leurs productions pour l’entreprise. Ce phénomène n’est pas sans les stresser. En conséquence ce stress incitera à davantage de réticences quant à la proposition et la mise en place des idées créatives2.

De la nécessité de critique à l’incertitude sociale

Mais les choses ne s’arrêtent pas là. En effet, le processus créatif implique notamment un réarrangement des informations acquises, mais aussi une évaluation par le reste de l’équipe des idées générées. Cette approche critique est nécessaire pour apprécier la qualité d’une idée produite, autrement dit pour estimer son originalité et son utilité.

Néanmoins, cette négociation autour des idées implique que les interactions sociales ont un impact certain sur la décision de l’équipe quant au choix de quelle idée sera retenue et quelle autre sera au contraire rejetée. Autrement dit, proposer une idée induit de l’incertitude sociale quant au fait que les autres acceptent ou non l’idée. En cela la manière dont les uns et les autres se traitent aura une influence significative sur l’évaluation de l’idée3.

Voyons comment le leader peut changer la donne et compenser ces deux formes d’incertitude (cognitive et sociale).

Le rôle du leader dans la maitrise l’incertitude

Le leader fournisseur d’informations

Tout d’abord, concentrons-nous sur le rôle du leader dans la réduction de l’incertitude due au manque d’informations.

Le leader, du fait de sa position privilégiée, a la possibilité d’échanger à la fois avec les membres de l’équipe qu’il mène, mais aussi avec les autres leaders de l’entreprise. Cette place particulière fait du leader une pièce centrale du réseau social de l’organisation. S’incarnant comme un pivot de la communication, il a accès plus facilement à des informations plus variées, puisqu’issues de départements divers de l’entreprise et de différents niveaux hiérarchiques2. De la sorte et à la différence des membres de son équipe, il peut se peindre une vision globale de l’organisation et de ses besoins, ainsi qu’avoir connaissance des relations entre les productions de son équipe et celles des autres équipes. Sur ce dernier point, il peut faciliter l’échange d’informations entre les équipes de travail.

Cet accès informationnel présente un fort intérêt pour la créativité de l’équipe. En effet, en rebasculant l’information à ses membres, le leader lui donne une certaine connaissance des priorités et des besoins généraux de l’entreprise. En conséquence, ceci leur permet d‘atteindre une meilleure adéquation entre leurs idées nouvelles et ces besoins. En cela, elles deviennent plus pertinentes, autrement dit plus utiles pour l’organisation.

Le leader garant d’un climat serein

Comme nous l’avons précédemment dit, la négociation autour des idées nouvellement produites induits de l’incertitude quant à l’acceptation de son idée. Or, les interactions sociales entre les salariés influencent la manière dont cette négociation se déroule. Notons que ces interactions sociales prennent pour base sur les places de chacun, notamment à propos des positions hiérarchiques et des niveaux d’expertise. C’est particulièrement sur ce point que le leader peut jouer pour limiter l’incertitude sociale qui peut naitre de la négociation des idées et ainsi favoriser le processus créatif.

En effet, le leader se présente comme le meneur du groupe et le garant de son identité (voir Le leader, artisan de l’identité du groupe du même auteur). En cela, il s’incarne comme la clef de voute du climat sociale qui y règne. Or, il a tout intérêt à garantir un climat serein, à même de permettre des interactions sociales de haute qualité et ainsi de réduire la peur de rejet lors de la proposition d’une idée nouvelle et de garantir l’estime de soi de chacun.

Certains auteurs, comme Stephens et Carmeli3 encouragent particulièrement à favoriser une autorité moins formelle du leader, ainsi qu’une structure sociale plus « plate » et « égalitaire » au sein de l’équipe et de ses relations de travail immédiates. Ceci incite les salariés à porter moins d’attention aux niveaux d’expertise et aux différences hiérarchiques. Une telle situation favorise l’échange libre d’informations et ouvre à des idées plus originales et plus utiles. Afin d’amener un tel climat, il convient d’encourager à davantage d’harmonie, c’est-à-dire à des interactions sociales fortes d’un engagement dans le respect mutuel et la bienveillance.

En conséquence, un tel climat réduit la réticence à proposer des idées nouvelles, notamment lorsqu’elles sont le radicalement. Il favorise également le partage d’informations, bénéfique à la production de solutions à la fois originales et utiles.

Conclusion

La production d’idées créatives génère de l’incertitude, d’une part car les salariés ne peuvent obtenir autant d’informations qu’ils en ont besoin, et d’autre part du fait de la négociation nécessaire autour de la pertinence et de l’originalité de ces idées. Néanmoins, le leader est à même répondre à ces formes d’incertitude cognitive et sociale. En effet, par sa position privilégiée dans le réseau social de communication, il a accès à des informations plus variées qu’il peut redonner aux membres de son équipe, permettant ainsi la production d’idées plus pertinentes et utiles, mais aussi plus originales. De même, il est garant du climat social régnant dans et autour de l’équipe, ouvrant ainsi à un meilleur partage de l’information et à une moindre réticence à la proposition d’idées radicalement nouvelles.

Ainsi, le leader s’incarne comme la clef de voute de la production d’idées créatives, c’est-à-dire d’idées originales et utiles. Par son action axée sur l’établissement des interactions sociales favorables et d’un flux d’informations de qualité, il est à même d’avoir un impact fort sur la créativité. Ainsi, la prise en compte de son rôle majeur dans le processus d’innovation de l’entreprise est essentiel.

Références

  1. Amabile, T. M. (1988). A model of creativity and innovation in organizations. Research in organizational behavior, 10(1), 123-167.
  2. Venkataramani, V., Richter, A. W., & Clarke, R. (2014). Creative benefits from well-connected leaders: Leader social network ties as facilitators of employee radical creativity. Journal of Applied Psychology, 99(5), 966.
  3. Stephens, J.P., & Carmeli, A. (2015). Relational Leadership and Creativity: The Effects of Respectful Engagement and Caring on Meaningfulness and Creative Work Involvement. In S. Hemlin & M. D. Mumford (Eds.), Handbook of Research on Creativity and Leadership. Edward Elgar Publishing. Forthcoming

Benjamin Pastorelli

Benjamin est docteur en psychologie, consultant, thérapeute et enseignant au Mary Immaculate College (Irlande) Son expertise se centre autour de la diversité, de l'inclusion, des discriminations et de l'interculturalité. Il œuvre pour la mise en valeur des différences et la lutte contre les discriminations, afin de libérer le potentiel de la diversité. Benjamin est aussi vulgarisateur scientifique et blogueur depuis de nombreuses années.