9 alarmes pour repérer la pseudoscience

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Ne vous faites plus avoir !

Les approches et les pratiques pseudoscientifiques pullulent dans le conseil en entreprise et le développement personnel. Elles inondent nos réseaux sociaux, même (surtout ?) les plus professionnels comme LinkedIn.

Elles se cachent derrière l’apparence de la Science (jargon, chiffres, …), derrière des titres non encadrés (coach, psychopracticien·ne, …), derrière des certifications privées à la qualité obscure. Ceci les rend difficiles à repérer et il est facile de se faire avoir.

Pour vous aider à y voir plus clair, voici 9 alarmes pour repérer les propos pseudoscientifiques. Ce ne sont pas des critères stricts, mais des points de vigilance qui vous permettront de vous poser les bonnes questions.

Mais avant cela, j’aimerais vous partager, d’une part pourquoi il est important de lutter contre la pseudoscience et, d’autre part pourquoi elles nous donnent trop souvent l’impression d’être efficaces.

Pourquoi lutter contre la pseudoscience au travail ?

L’utilisation des pseudosciences au travail a des conséquences néfastes sur le monde organisationnel :

  • Elles sont rarement efficaces, voire peuvent créer plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.
  • Elles sont couteuses en temps et en argent.
  • Elles détournent l’attention des approches véritablement fondées et à l’efficacité reconnue.

Par exemple, une mauvaise politique pro-diversité peut paradoxalement augmenter la discrimination, favoriser le désengagement et induire des troubles psychopathologiques. Une mauvaise intervention censée améliorer la qualité de vie au travail des collaborateurs et collaboratrices peut en détourner certain.e.s d’une prise en charge thérapeutique pourtant nécessaire. Une formation à l’innovation basée sur la pseudoscience peut donner des conseils contreproductifs et ainsi constituer une dépense inutile.

Pourquoi les pseudosciences nous donnent l’illusion d’être efficaces ?

Malheureusement, il reste souvent ardu d’identifier les approches pseudoscientifiques, notamment car elles donnent l’impression d’être réellement efficaces. Plusieurs facteurs façonnent cette illusion, comme par exemple1 :

  • Le réalisme naïf.
    Nous avons tendance à penser que le monde est tel que nous le voyons. Pourtant notre vision du monde est biaisée par notre fonctionnement cognitif, nos attentes et nos interprétations. Ainsi, une intervention n’est pas efficace simplement parce que nous avons « vu » qu’elle l’est. L’efficacité d’une méthode doit être testée rigoureusement.
  • Le biais de confirmation.
    Nous accordons davantage de crédit à des faits qui vont dans le sens de nos croyances qu’à ceux qui vont à leur encontre. Autrement dit, nous avons tendance à sélectionner les informations qui confirment la pseudoscience, au détriment de celles qui l’infirment.
  • La causalité illusoire.
    Nous créons facilement des liens de causalité, même quand ceux-ci n’existent pas. Ceci répond à notre besoin de donner du sens à notre environnement, mais aboutit à des explications erronées des faits. Cette fausse explication est simplement plus directement accessible que la véritable explication du phénomène. Nous pouvons ainsi facilement attribuer l’amélioration d’une situation à une intervention pseudoscientifique, alors que ce n’est pas le cas.
  • L’illusion du contrôle.
    Nous avons tendance à surestimer le contrôle que nous avons sur les événements. Lorsque nous avons recours aux pseudosciences, ceci nous incite à surévaluer leurs effets.

Neuf alarmes pour repérer la pseudoscience

Voici 9 alarmes pour vous aider repérer la pseudoscience. Elles sont adaptées du travail de Lilienfeld, Lynn et Lohr2, trois professeurs en psychologie, qui ont fortement milité contre la psychologie de comptoir et les dérives en psychothérapie.

Précisons qu’aucune de ces alarmes n’est, à elle seule, suffisante pour dire qu’une pratique est pseudoscientifique. Certaines pratiques scientifiques peuvent est concernées par une ou deux de ces alarmes. C’est plutôt leur multiplicité qui doit vous éveiller vos soupçons. Plus une approche coche d’alarmes et plus la probabilité qu’elle soit pseudoscientifique est grande.

1. « La théorie semble invalide car vous n’avez pas pris en compte cet élément »
– la gymnastique mentale

Lorsqu’il est mis en avant que la théorie pseudoscientifique ne fonctionne pas, ses défenseurs proposeront de nouvelles affirmations pour expliquer ce résultat contradictoire. Ce sont des explications a posteriori dont l’unique but est d’empêcher l’approche d’être réfutée. Le recours excessif à ce genre de « gymnastique mentale » est un signal d’alarme important.

Les scientifiques et les philosophes nomment ces affirmations des « hypothèses ad hoc ». Ces dernières sont utilisées en Science, mais avec beaucoup de parcimonie : plus une théorie comporte d’hypothèses ad hoc et moins elle sera jugée comme fiable. Ce principe de parcimonie est appelé « rasoir d’Ockham ».

2. « Ces résultats ne remettent pas en cause la théorie »
– l’absence d’autocorrection

La Science avance par tâtonnements. Elle reconnait que ses théories sont imparfaites et les tient pour « vraies » uniquement jusqu’à preuve du contraire. Ainsi, des théories sont fréquemment abandonnées pour de nouvelles, plus puissantes.

Ce principe d’autocorrection est rarement appliqué dans les pseudosciences. Leurs défenseurs rechignent à abandonner leurs convictions malgré les preuves qui les contredisent. La raison de ce comportement est qu’ils ont souvent investi beaucoup d’argent et de temps dans ces pratiques et ces approches (années de pratique, formations et certification privées onéreuses, etc.). Il est difficile de se remettre en cause après un tel niveau d’engagement. La gymnastique mentale (voir alarme 1) est une solution plus aisée.

3. « La théorie n’est pas reconnue car la Science est biaisée »
– Le recours à la critique du système

Les pseudosciences sont rarement publiées dans des revues savantes et sont rejetées par la communauté scientifique. Pour justifier cela, leurs défenseurs se rangeront derrière une critique du système. Autrement dit, ils avanceront que le système et la communauté scientifiques sont biaisées et incapables de reconnaitre la qualité de leurs théories et de leurs pratiques.

Bien sûr, il serait exagéré de dire que la communauté scientifique a toujours raison ou que le système des revues à comité de lecture est parfait. Mais ces principes permettent de fortement limiter les dérives.

4. « Cet exemple confirme la théorie »
– La recherche de confirmation plutôt que de réfutation

Les scientifiques ne cherchent pas à confirmer leurs théories, mais plutôt à les ébranler. Les expériences scientifiques sont spécialement conçues pour mettre à mal les théories et tester leur résistance face au réel. Plus une théorie résiste aux tentatives de réfutation et plus elle sera considérée comme viable.

Ce principe vient du fait que confirmer une théorie ne renseigne pas beaucoup sur sa validité. Imaginons : j’émets l’hypothèse que tous les corbeaux sont noirs. Si je cherche à la confirmer, il me suffit de trouver un corbeau noir. Si j’y parviens, ceci confirme l’hypothèse, mais en réalité rien ne me dit qu’il n’existe pas quelque-part un corbeau d’une autre couleur. Si je cherche à la place à réfuter mon hypothèse, je vais chercher des corbeaux jusqu’à en trouver un non-noir. Tant que je n’en trouve pas (et que je continue à chercher), la théorie n’est pas invalidée. Plus j’avance dans mes recherches (infructueuses) d’un corbeau noir et plus la probabilité que mon hypothèse soit vraie est grande. Cette deuxième manière de faire est plus longue. Mais elle m’empêche de tenir pour vraie une hypothèse qui en réalité est fausse, simplement parce que je n’ai pas cherché assez loin.

Les défenseurs de théories pseudoscientifiques réprouvent généralement les tests rigoureux qui cherchent à mettre à mal leurs affirmations. Ils préfèrent les éviter ou discréditer leurs méthodes (voir alarme 3). A l’inverse, ils s’appuieront sur des exemples choisis pour « confirmer » leurs théories.

5. « Pouvez-vous prouvez que la théorie est fausse ? »
– L’inversion du devoir de preuve

Lorsque nous émettons une affirmation, c’est d’abord à nous d’apporter les preuves qui la soutiennent. Le devoir de preuve repose entre les mains et celles et ceux qui affirment quelque chose, pas dans les mains de celles et ceux qui la critique.

Pourtant, lorsqu’une pseudoscience est attaquée, ses défenseurs demandent souvent aux sceptiques d’argumenter et de prouver le bien-fondé de leurs critiques. Il leur est ensuite assez facile de pointer du doigt les éventuelles imprécisions de l’argumentaire. En effet, il est bien plus aisé de contre-argumenter que d’argumenter.

Une telle demande n’est pas recevable, pas tant que les défenseurs de la théorie n’ont pas rempli eux-mêmes leur devoir d’apporter des preuves à leurs dires. Une fois cela fait, il leur est par contre légitime de demander des critiques argumentées.

6. « Cette théorie est révolutionnaire »
– L’absence de connexion

Une nouvelle théorie scientifique s’appuie toujours sur les recherches antérieures. Il serait inconcevable de proposer une nouvelle théorie sans avoir préalablement vérifié à quel point elle est soutenue (ou non) par les résultats déjà connus. Ainsi, la Science avance progressivement et avec précaution. Les véritables révolutions scientifiques sont de ce fait assez rares.

Pourtant, les pseudosciences se vantent souvent d’apporter une vision nouvelle et révolutionnaire. Ceci sert d’ailleurs d’argument marketing pour vendre toutes sortes de prestations. Mais un tel renversement demande des justifications à sa hauteur. Comme l’exprimait le sociologue Marcello Truzzi, « des affirmations extraordinaires demandent des preuves extraordinaires » (version originale : « Extraordinary claims require extraordinary proof »)3.

7. « Des centaines de personnes disent avoir vu une amélioration »
– La surutilisation des témoignages et des anecdotes

Il est très fréquent de voir des pseudosciences « prouver » l’intérêt de leurs méthodes ou le bien-fondé de leurs théories en se reposant sur des témoignages de réussite. Même en supposant que ces témoignages soient honnêtes, ils ne sont pas des preuves suffisantes.

Premièrement, seuls les témoignages positifs, c’est-à-dire ceux qui concernent des réussites, sont présentés. Les témoignages négatifs sont presque toujours inconnus. Pourtant, sans eux, il n’est pas possible de connaitre la proportion des réussites. Une centaine de succès peut impressionner, mais impressionne-elle toujours autant à côté de 300 échecs ?

Deuxièmement, connaitre l’efficacité d’une méthode nécessite des tests, c’est-à-dire de comparer la méthode à une condition « contrôle » qui sert de référence. Cette dernière peut être une méthode jugée neutre (une sorte de placebo) ou éventuellement d’autres méthodes plus anciennes. Sans cela, il est difficile de savoir à quoi est due la supposée efficacité de la méthode. Est-ce l’effet placebo (le fait de croire que la méthode fonctionne) ? Est-ce l’effet du temps (beaucoup de problèmes se résorbent d’eux-mêmes avec le temps) ? Est-ce un élément connexe encore inconnu ?

8. « La compulsion est liée à une fixation égotique potentiellement délétère »
– L’utilisation d’un jargon inutile

La Science est célèbre pour son jargon parfois très obscur aux personnes non-initiées. Mais ces termes alambiqués ont un intérêt : ils servent à caractériser des phénomènes et à nommer des concepts. Le but est de faciliter la communication entre scientifiques et de la rendre plus précise.

Le jargon donne l’allure de la Science et plus généralement de l’expertise. Il suffit de regarder le nombre d’anglicismes et de termes « corporate » qui ont envahi le monde du travail, pour réaliser l’importance de ce jeu d’apparence.

Pourtant, une bonne partie de ces termes sont inutiles ou exagérément complexes. Là où les scientifiques délaissent souvent leur jargon pour vulgariser, les pseudoscientifiques l’utilisent à l’excès pour s’accorder du prestige et impressionner leur auditoire.

9. « Nous pouvons tous réussir en suivant ces recommandations »
– L’application à des situations trop variées

Le fait qu’une méthode fonctionne dans une situation donnée ne suppose pas qu’elle fonctionne dans toutes les situations. De même, ce n’est pas parce qu’une théorie semble valide dans un contexte précis, qu’elle peut être extrapolée à tous les contextes.

Pour cette raison, les études scientifiques mentionnent le cadre dans lequel elles se sont déroulées (à quelle époque, dans quel pays, sur quelle population, dans quelles conditions, etc.). La généralisation de leurs résultats est une question difficile qui demande systématiquement de nouvelles investigations.

Beaucoup de pseudosciences proposent des théories « valides » en toute situation. Un peu de gymnastique mentale (voir alarme 1) suffit à les y adapter. De mêmes leurs interventions sont censées fonctionner dans tous les contextes. C’est par exemple ce que dénonce la philosophe Julia de Funès dans son ouvrage Le développement (im)personnel4. Elle met en lumière que de nombreuses méthodes de coaching sont présentées comme efficaces pour tout le monde et négligent les spécificités individuelles et contextuelles.

Conclusion

Ces 9 alarmes aident à distinguer sciences et pseudosciences. Mais, rappelons-le, aucune n’est seule suffisante pour affirmer que telle approche est pseudoscientifique. C’est leur multiplicité qui doit alerter.

Lutter contre la pseudoscience au travail est important. Le faire c’est éviter des pertes inutiles de temps et d’argent, mais c’est surtout contrer leurs conséquences néfastes pour les entreprises et les personnes qui y travaillent.

Pour y parvenir, soyons plus vigilant·e·s et incitons les autres à l’être également. Ensemble, ne nous laissons plus avoir !

Aller plus loin

Sources

  1. Lilienfeld, S. O., Ritschel, L. A., Lynn, S. J., Cautin, R. L., & Latzman, R. D. (2014). Why ineffective psychotherapies appear to work: A taxonomy of causes of spurious therapeutic effectiveness. Perspectives on Psychological Science, 9(4), 355-387.
  2. Lilienfeld, S. O., Lynn, S. J., & Lohr, J. M. (2015). Science and pseudoscience in clinical psychology: Initial thoughts, reflections, and considerations. In S. O. Lilienfeld, S. J. Lynn, & J. M. Lohr (Eds.), Science and pseudoscience in clinical psychology (2nd ed., pp. 1–16). New York, NY: Guilford Press.
  3. Truzzi, %. (1978). “On the Extraordinary: An Attempt at Clarification“, Zetetic Scholar, Vol. 1, No. 1, p. 11.
  4. De Funès, J. (2019). Le développement (im) personnel. Editions de l’Observatoire.

image de couverture : Andrea Piacquadio

Benjamin Pastorelli

Benjamin est docteur en psychologie, consultant, thérapeute et enseignant au Mary Immaculate College (Irlande) Son expertise se centre autour de la diversité, de l'inclusion, des discriminations et de l'interculturalité. Il œuvre pour la mise en valeur des différences et la lutte contre les discriminations, afin de libérer le potentiel de la diversité. Benjamin est aussi vulgarisateur scientifique et blogueur depuis de nombreuses années.