Chronique scientifique antisexiste #001 — L’effet Trump, ou comment l’élection du président étasunien a rendu ses électeur.rice.s plus sexistes

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Tous les mois, Violette Kerleaux, chercheuse en psychologie et fondatrice du Purple Lab, décrypte pour vous un article scientifique sur le sexisme et le genre en psychologie sociale. Les objectifs : vulgariser les sciences humaines, mais aussi protéger les travaux des chercheur·se·s, parfois déformés dans les médias classiques.

L’élection d’un président misogyne peut-elle faire baisser le soutien des individus à l’égalité de genre ? Le cas de nos voisins étasuniens montre qu’un événement ponctuel et très médiatisé, telle que l’élection d’un·e dirigeant·e, peut avoir une influence sur le sexisme moderne* et la perception des discriminations envers les femmes.

C’est du moins ce qu’a tenté de montrer une équipe de chercheur·se·s de la London Business School (Londres, Grande-Bretagne, 2019). Leur objectif initial de recherche était d’observer les effets de la victoire d’Hillary Clinton à l’élection de la présidence des États-Unis. En dépit de sa défaite, l’équipe a tout de même décidé d’exploiter les résultats de l’enquête… mais sous un angle différent.

Des électeur.rices. qui deviennent plus sexistes après l’élection

Les participant·e·s ont rempli un questionnaire avant ou après les élections. Ils devaient indiquer leurs opinions sur plusieurs thèmes en lien avec l’égalité de genre permettant d’évaluer leur niveau de sexisme moderne*, mais aussi sur leurs préoccupations concernant les écarts salariaux et leurs perceptions à l’égard des inégalités de genre dans la société. Ils devaient aussi donner des informations sur leur préférence concernant la victoire de l’un ou l’autre des candidats à l’élection présidentielle étasunienne de 2016.

« Les américain·e·s ont-ils exprimé plus ou moins de préjugés de genre avant ou après les élections de 2016 aux USA ? Nos recherches suggèrent que la réponse dépend du candidat qu’ils soutenaient initialement » [1].

Les résultats mettent en évidence que les participant·e·s qui ont voté Donald Trump endossaient des attitudes** plus sexistes après son élection. Et ces attitudes influençaient directement leurs perceptions concernant la discrimination des femmes et des hommes dans la Société. Ils étaient moins choqués par les écarts de salaire entre les femmes et les hommes, et percevaient moins de discriminations à l’égard des femmes dans la société (et plus de discriminations à l’égard des hommes). De plus, les participant·e·s qui avaient soutenu Trump surestimaient la progression de l’égalité de genre sur les dix dernières années, ainsi que le pourcentage de femmes dans les sphères hiérarchiques élevées de la société.

Par ailleurs, les femmes comme les hommes exprimaient des attitudes plus sexistes à l’égard des femmes après les élections lorsqu’ils avaient voté Donald Trump. Ces résultats mettent en évidence qu’une simple élection présidentielle peut (ré)activer les attitudes sexistes de certains individus.

Comment l’élection de Donald Trump a-t-elle provoqué cette augmentation du sexisme ?

Les auteur.e.s proposent plusieurs explications en lien avec les données. D’abord, les supporteur·trice·s de Donald Trump ont pu « accorder » leurs croyances avec celles du leader représentant leur groupe social. Autrement dit, ces individus se retrouveraient à tenir le raisonnement suivant, sans en avoir conscience : « si le président que j’ai élu pense comme ça, moi aussi je pense comme ça ».

Autre hypothèse : l’élection d’un leader sexiste a pu réduire les freins sociaux à l’expression des préjugés de genre, ce qui a en retour permis à ces personnes d’exprimer plus librement leurs opinions sur la question, celles-ci devenant plus « politiquement correctes ». Ce phénomène, nommé « l’effet Trump », a d’ailleurs frappé d’autres groupes sociaux comme les musulman·e·s, les migrant·e·s, etc. [2].

Pour aller plus loin

#unefemmeaupouvoiren2020 : réaction inverse chez les supporters démocrates : a contrario, les individus percevaient plus d’inégalités à la suite de la défaite d’Hillary Clinton [3].

#lamotivationasesraisonsquelaraisonignore : les arguments masculinistes sont bons pour motiver les électeurs sexistes. En effet, les attaques de Donald Trump reprochant à Hillary Clinton de jouer la « carte femme » ont fait augmenté leur participation à l’élection présidentielle [4].

#masculinisme : enfin, les supporters masculins de Donald Trump percevaient plus de discrimination envers les hommes que les supporters masculins d’Hillary Clinton [5].

Définitions

*Sexisme moderne (en psychologie sociale) : le sexisme moderne se traduit par un déni des discriminations faites aux femmes dans la société actuelle, un rejet des demandes faites par les femmes pour plus d’égalité et un manque de soutien envers les politiques destinées à réduire les discriminations [6].

**Attitude (en psychologie sociale) : prédisposition des individus à évaluer les objets de son environnement de manière favorable ou défavorable [7].

Références

[1] Georgeac, O. A. M., Rattan, A., & Effron, D. A. (2019). An Exploratory Investigation of Americans’ Expression of Gender Bias Before and After the 2016 Presidential Election. Social Psychological and Personality Science, 10(5), 632‑642. https://doi.org/10.1177/1948550618776624

[2] Crandall, C. S., Miller, J. M., & White, M. H. (2018). Changing norms following the 2016 US presidential election: The Trump effect on prejudice. Social Psychological and Personality Science, 9(2), 186-192.

[3] Does, S., Gündemir, S., & Shih, M. (2019). The Divided States of America : How the 2016 U.S. Presidential Election Shaped Perceived Levels of Gender Equality. Social Psychological and Personality Science, 10(3), 374‑381. https://doi.org/10.1177/1948550618757033

[4] Cassese, E. C., & Holman, M. R. (2019). Playing the Woman Card : Ambivalent Sexism in the 2016 U.S. Presidential Race. Political Psychology, 40(1), 55‑74. Scopus. https://doi.org/10.1111/pops.12492

[5] Monteith, M. J., & Hildebrand, L. K. (2019). Sexism, perceived discrimination, and system justification in the 2016 U.S. presidential election context. Group Processes and Intergroup Relations. Scopus. https://doi.org/10.1177/1368430219826683

[6] Swim, J. K., Aikin, K. J., Hall, W. S., & Hunter, B. A. (1995). Sexism and racism : Old-fashioned and modern prejudices. Journal of Personality and Social Psychology, 68(2), 199‑214. https://doi.org/10.1037/0022-3514.68.2.199

[7] Katz, D. (1960). The functional approach to the study of attitudes. Public Opinion Quarterly, 24(2), 163‑204. https://doi.org/10.1086/266945

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