À la suite du rapport Schwartz de 1981, la France s’est dotée, avec un réseau de plus de 400 Missions Locales, d’un formidable outil qui se tient au plus proche de la jeunesse du pays. Cependant, et malgré l’utilité avérée de leur travail, les Missions Locales font face à des difficultés financières et d’un important manque de visibilité.
Origines des Missions Locales.
Dans les années 1980 déjà le constat était fait que la jeunesse, dans une économie où le chômage gonflait inexorablement, était la part de la population qui éprouvait le plus de difficultés à accéder au marché de l’emploi.
C’est en réponse à la demande du premier ministre Pierre Mauroy que Bartrand Schwartz réalisa une étude sur l’état de la jeunesse du pays, des dispositifs d’insertion professionnelle et de leurs interactions, dans le but de donner un ensemble de préconisations qui devaient permettre une meilleure prise en charge globale et une meilleure coordination de dispositifs parfois se juxtaposant ou répondant seulement à des logiques conjoncturelles. Les résultats de cette étude furent connus dans le rapport intitulé « Rapport sur l’insertion sociale et professionnelle des jeunes ». (*1) Ce rapport est en fait une synthèse de propositions recueillies auprès de 400 personnes de terrain en contact avec la jeunesse. Schwartz et son équipe ont « simplement » compilé et retenu les propositions les plus intéressantes et innovantes.
Il est frappant de constater, à la lecture de ce rapport, que la situation d’aujourd’hui fait fortement écho aux constats donnés par les auteurs il y a près de 40 ans.
Ainsi, d’après ce rapport, sur les 4 250 000 jeunes âgées entre 16 et 21 ans en 1980, 14,5 % se trouvaient au chômage (contre 21,4 % au 2e trimestre 2018 pour la tranche 15-24 ans, selon l’Insee) (*2). Il est aussi souligné que ce sont les moins qualifiés qui ont le plus de risque d’être au chômage. En effet, près d’un chômeur sur deux est « sans diplômes ».
Il y est souligné également le lien entre âge, niveau de qualification et qualité de l’emploi en termes de condition de travail et de droits. En effet, les jeunes peu ou pas qualifiés ont plus de chances de subir des emplois précaires.
L’écueil de l’articulation entre l’école, les dispositifs de qualification et le monde du travail est posé. Car les auteurs dressent deux limites à leur rapport. La première se situe en amont : le système scolaire. Sans toutefois dresser de diagnostic précis sur les forces et faiblesses du système éducatif français, les auteurs insistent sur le creusement des inégalités auquel il contribue ; mais aussi sur la faible prévalence de l’enseignement technologique, qu’il faudrait développer selon eux.
La seconde limite se situe en aval : l’emploi. Les auteurs rappellent que pour une insertion professionnelle réussie, est d’abord nécessaire une politique de l’emploi porteuse de relance économique car, sans création d’emploi, toutes les mesures prises en amont ne seraient que vaines.
Les Missions Locales nouvellement crées (nous sommes en 1982) devaient être le pivot des nouvelles dispositions préconisées par le rapport. Installées dans un bassin d’habitat et d’emploi cohérent, elles auront 4 fonctions essentielles : connaître les jeunes de leur territoire en collaboration avec les différents acteurs en lien avec la jeunesse (lycées, collèges, etc) ; accueillir et orienter, sous diverses formes, les jeunes et établir avec eux un « cursus personnalisé » devant aboutir à une qualification ; être en relation avec les entreprises (pouvant être de tout type ; privé, public, administration, collectivité, artisans, etc) dans le but d’accompagner de susceptibles employeurs et d’être en soutien des tuteurs ; et enfin être en relation avec les organismes de formation.
La Mission Locale devait être un outil d’animation au plus près des jeunes, en veillant à tisser un réseau d’entreprises et de partenaires suffisamment important pour pouvoir répondre efficacement aux problématiques et besoins de la population jeune de son bassin d’emploi (ou d’habitation). Aussi, l’un de ses objectifs était de renforcer ou mettre en place la coordination des différents efforts orchestrés pour la jeunesse de son territoire. À cette fin, elle se devait d’être visible et facilement identifiable par son public mais aussi ses potentiels partenaires.
On peut alors résumer les fondamentaux qui modèlent toujours les actions des Missions Locales comme ceci : proximité, participation des jeunes et écoute, travail avec un ensemble de partenaires pour faire faire, faire avec et jamais faire seule.
Depuis la création des premières Missions Locales, quelques ajouts viennent conforter et renforcer ces missions.
Il y a eu d’abord la charte de 1990 « Construire ensemble une place pour tous les jeunes » (*3), élaborée dans le cadre du Conseil national des missions locale nouvellement créé (décembre 1989).
Cette charte souligne l’importance de 4 missions dévolues aux Missions Locales :
– la volonté de travailler ensemble sur un territoire. L’échelle choisie est le bassin d’emploi. Il est précisé qu’une « mission locale » naît d’une conscience des acteurs locaux de l’importance de faire converger leurs actions. Ces partenaires constituent tous ceux qui sont concernés par l’insertion professionnelle des jeunes (services de l’État, partenaires économiques, association, collectivités territoriales). L’organisation doit se faire en réseau sur la base d’engagements réciproques.
– une intervention globale au service des jeunes : favorisée par l’animation du réseau cité ci-dessus
– un espace d’initiative et d’innovation : la mission locale, par le biais de ses partenariats, doit permettre l’émergence d’idées nouvelles pour enrichir les politiques d’insertion professionnelle et sociale conduites au niveau national. Elle doit être où les potentialités locales sont exploitées.
– favoriser des politiques locales d’insertion et de développement, sur la base d’un diagnostic permanent de la situation des jeunes et d’une connaissance approfondie du tissu économique et social, la Mission Locale est un outil du développement local.
Ces missions seront confortées dans d’autres textes, comme le protocole 2005 des Missions Locales (*4), ou dans la loi avec l’inscription des Missions Locales dans le code du travail en tant que membre du Service Public pour l’Emploi, toujours en 2005.
Histoire récente.
Le quinquennat de M. Hollande est intéressant à plusieurs égards pour les Missions Locales. Elles ont en effet été l’objet d’une politique qu’on pourrait qualifier d’ambitieuse. Leur rôle d’outil incontournable sur un territoire pour l’insertion des jeunes en a été à la fois souligné et renforcé. La mise en place des « Emplois d’Avenir » (supprimés depuis l’élection de M. Macron), la « Garantie Jeunes » ou encore le Service Civique (antérieur à la présidence Hollande, car créé en 2010) ont chacun démontré la capacité des Missions Locales à s’approprier, mettre en place, développer et mener à bien ce type de dispositifs sur leur territoire.
A titre d’exemple, en 2016, plus de 1,4 million de jeunes ont été en contact avec le réseau, 524000 contrats de travail ont été signées et 262000 jeunes sont entrées en formation. (*5) Néanmoins, et cela pourrait faire l’objet d’un autre article, depuis plusieurs années le nombre de jeunes reçus en premier accueil à tendance à diminuer au niveau national.
Cependant, la situation financière du réseau est précaire. C’est d’ailleurs ce que montre le « Rapport sur le modèle économique des missions locales […] » (*6) fourni par l’Inspection générale des affaires sociales, cité dans un rapport du Sénat de l’été 2017 (*7). Environ 30 % des Missions Locales présentaient un niveau de trésorerie qui ne couvrait pas plus d’un mois d’activité. Les auteurs écrivent aussi que l’absorption par les Missions Locales du dispositif « Garantie Jeunes » a bousculé leur modèle économique : nouveaux recrutements, besoin de location de locaux, financements incertains.
Aujourd’hui, les acteurs de l’insertion professionnelle des jeunes peuvent observer les différents projets d’absorption qui s’opèrent entre les Missions Locales et les Maisons de l’Emploi par exemple, ou, plus récemment, les projets de fusion avec Pôle Emploi. Pour ce dernier, l’Union Nationale des Missions Locale a opposé un vif refus. (*8)
Nous pouvons aujourd’hui légitimement nous interroger sur l’avenir du réseau des Missions Locales. Né d’une volonté de proposer aux jeunes un accompagnement au plus près de leurs préoccupations, en adéquation avec un territoire, sous une forme d’intervention innovante et participative, elles semblent avoir été rattrapées par la gestion par le chiffre avant tout. L’expertise des équipes reste reconnue, tout comme la plus-value de ces structures pour le territoire pour lequel elles opèrent. Néanmoins, elles demeurent mal connues des jeunes et des parents. Leur ancrage dans le monde économique local est inégal d’une structure à l’autre.
L’enjeu d’aujourd’hui est de savoir quelle marge de manœuvre vis-à-vis des politiques nationales de l’emploi peut leur être accordée tout en assurant leur caractère incontournable au sein du service public de l’emploi au niveau local. En d’autres termes : quelle place à l’expérimentation ascendante, qui naît localement sur un territoire précis, est donné aux Missions Locales, en cohérence avec la singularité des publics accompagnés. C’est seulement de cette façon là qu’elles apporteront une plus-value et se différencieront du fonctionnement des autres opérateurs du service public de l’emploi.
Si l’orientation prise ces dernières années continue, alors il n’y a pas lieu de s’étonner des annonces de fusion entre Pôle Emploi et Mission Locale. Dans ce cadre, pourquoi ne pas imaginer que des dispositifs tels que la Garantie Jeunes soient pris en charge par des opérateurs privés, comme le craignaient déjà les syndicats lors de la promulgation de la loi travail de Mme El Khomri. En revanche, en cohérence avec l’esprit initial et le public accompagné par ces structures, le choix peut être fait d’assurer un mode d’intervention différent et original qui laisserait plus de place à l’initiative, la créativité et l’expérimentation locale, et renforcerait l’inventivité des équipes.
Quoi qu’il en soit, les prochaines années devraient être le témoin d’importants changement pour les Missions Locales. Reste à voir quelle direction ceux-ci prendront.
Bibliographie :
1 : Bertrand Schwartz : Rapport sur l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, 1981. Éditions Apogée.
Webographie :
2 : La situation des jeunes en France mérite d’être nuancée. Pour cela, vous pouvez par exemple consulter : https://www.strategie.gouv.fr/publications/linsertion-professionnelle-jeunes
3 : https://www.cnle.gouv.fr/IMG/pdf/pdf_Charte_1990.pdf
4 : https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Protocole_2005.pdf
5 : https://www.unml.info/les-missions-locales/le-reseau-des-missions-locales-en-chiffres.html
6 : http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2016-061R_-_Tome_1_rapportv.pdf