Diversité culturelle, existe-t-elle vraiment ?

Les entreprises, comme les chercheurs, l’ont bien compris, la diversité culturelle est une force et un levier de performance, mais elle constitue aussi un défi à relever.1,2 Ainsi, depuis quelques années, des formations, des ateliers et des conférences ont vu le jour sur le thème des valeurs culturelles. La plupart se basent sur les travaux de Geert Hofstede ou sur l’expérience professionnelle d’Erin Meyer.

Pourtant, une équipe scientifique internationale3 a récemment montré que les valeurs culturelles variaient plus entre les individus qu’entre les pays. Mais si la culture des pays ne détermine pas les valeurs des individus, la diversité culturelle existe-t-elle vraiment ?

La diversité culturelle existe-t-elle vraiment ?

Fischer et Schwartz ont évalué les valeurs culturelles de plus 150 000 personnes à travers le monde, à l’aide de trois techniques différentes. Pour chacune d’elles, ils sont arrivés au même constat : en termes de valeurs culturelles, il y a plus de différences entre les individus qu’entre les pays.

Ceci remet en question les conceptions basées sur des valeurs culturelles qui seraient partagées par les personnes d’une même culture. Selon cette vision, on devrait obtenir l’inverse des résultats de Fischer et Schwartz : moins de différences entre les individus qu’entre les pays. Ainsi, on ne peut pas déduire les valeurs culturelles d’un individu à partir de celles de son pays d’origine. Mais tout cela est moins problématique qu’il n’y parait.

Rappelons-nous : qu’est-ce que la culture ? La culture est souvent définie comme un système de pensées partagé au sein d’un groupe donné. Or, comme nous venons de le voir, cette conception basée sur le « partage » est réfutée par les résultats de Fischer et Schwartz. Mais les sociopsychologues ont plus d’un tour dans leur sac !

Dans ses propres travaux sur les valeurs culturelles, Shalom Schwartz4, un psychologue israélien, apportait une autre vision de la culture. Pour lui, la culture est plutôt un élément latent, situé à l’extérieur des individus. De plus, elle s’exprime au travers des organisations et des institutions. Ainsi, les valeurs culturelles de chaque personne dépendent des organisations auxquelles elles ont été confrontées, comme le montre la figure ci-dessous. Autrement dit, nos valeurs sont le fruit des écoles/universités qui nous ont formées, des entreprises pour lesquelles nous avons travaillé, mais aussi de notre famille ou des systèmes politiques et juridiques de notre pays, etc.4 Comme chaque personne a un parcours unique, il est normal de trouver beaucoup de différences entre les valeurs culturelles de chacune. Mais qu’est-ce que cela nous apprend pour le monde du travail ?

Les institutions jouent un rôle central dans les valeurs culturelles que les personnes revendiquent.

Mieux comprendre la diversité culturelle au travail

Comme nous venons de le voir, les valeurs culturelles varient beaucoup d’une personne à l’autre, même si elles appartiennent à la même culture. Ceci s’explique par le fait qu’il n’y a pas deux personnes qui soient influencés par la culture de la même manière. En quoi cela change la vision que nous avons de la culture au travail ?

Premièrement, les résultats de Fischer et Schwartz montre que les valeurs culturelles sont intéressantes pour comprendre les groupes pris dans leur ensemble (p.ex. : des pays, des régions, etc.). Mais elles ne permettent pas de prévoir les valeurs culturelles d’une personne en particuliers. Ainsi, et comme le conseille d’ailleurs Erin Meyer dans son livre The Culture Map, il ne faut pas perdre de vue que chaque personne est unique. En effet, si nous voulons malgré tout évaluer une personne (p.ex. : pour un recrutement ou en prévision d’une négociation) son historique personnel apportera des renseignements bien plus fiables que sa seule culture d’origine. D’où vient-elle ? Quelles étaient les valeurs de l’école où elle a été formée et des entreprises pour lesquelles elle a travaillé ? A-t-elle vécu dans plusieurs pays et quelles valeurs leurs sont associées ? Voici autant de questions qui permettront de connaitre toute la complexité d’une personne unique. L’écrivaine Taiye Selasi parle d’ailleurs très bien de cette richesse propre à chaque individu dans sa conférence TEDGlobal que nous vous partageons ci-dessous

Taiye Selasi, TEDGlobal 2014

Deuxièmement, Schwartz explique que les valeurs d’une personne sont liées aux organisations qu’elle a connues. Or les entreprises sont des organisations de première importance pour leurs salariés. De ce fait, les valeurs des entreprises jouent un rôle plus grand que prévu pour la cohésion des salariés autour d’une vision commune. Ainsi, le travail des managers autour de la culture de leur entreprise devient un important levier de cohésion, capable de favoriser la performance de l’entreprise.

Conclusion

Les résultats de Fischer et Schwartz remettent en question la vision classique de la culture et incitent à la repenser. La culture existe à l’extérieur des individus et elle les influence au travers des institutions4. Comme chacun d’entre nous a été confronté à des organisations différentes, nous avons des valeurs culturelles différentes les uns des autres. Dans le monde du travail, cette conception a plusieurs conséquences.

  • Elle montre l’importance de la culture d’entreprise comme vecteur de valeurs et pilier de cohésion.
  • L’historique personnel d’une personne sera plus précis pour évaluer ses valeurs plutôt que la simple connaissance de sa culture d’origine.

Ajoutons qu’aux côtés des valeurs culturelles, les chercheurs étudient d’autres éléments qui, à la vue des résultats présentés précédemment3, paraissent plus pertinents dans le management et la compréhension de la culture au travail. C’est le cas des stéréotypes et des attentes que les personnes ont à l’égard des autres cultures. Ces stéréotypes dont il faut se méfier peuvent être responsables de biais dans le recrutement, de conflits dans les équipes de travail, mais aussi de freins lors des négociations en entreprise. Un sujet à suivre donc, et peut-être le thème d’un prochain article sur LaborAgora !

Références

  1. Bassett‐Jones, N. (2005). The paradox of diversity management, creativity and innovation. Creativity and innovation management, 14(2), 169-175.
  2. Van Knippenberg, D., & Schippers, M. C. (2007). Work group diversity. Annu. Rev. Psychol., 58, 515-541.
  3. Fischer, R., & Schwartz, S. H. (2011). Whence differences in value priorities? Individual, cultural, or artifactual sources. Journal of Cross-Cultural Psychology, 42 , 1127-1144.
  4. Schwartz, S. H. (2014). Rethinking the concept and measurement of societal culture in light of empirical findings. Journal of cross-cultural Psychology, 45(1), 5-13.

Aller plus loin

Benjamin Pastorelli

Benjamin est docteur en psychologie, consultant, thérapeute et enseignant au Mary Immaculate College (Irlande) Son expertise se centre autour de la diversité, de l'inclusion, des discriminations et de l'interculturalité. Il œuvre pour la mise en valeur des différences et la lutte contre les discriminations, afin de libérer le potentiel de la diversité. Benjamin est aussi vulgarisateur scientifique et blogueur depuis de nombreuses années.