La motivation, comprise ici comme source d’allant au travail, peut-être vue comme la clef de voûte des processus permettant l’accomplissement d’un but. L’objectif ici est d’expliquer, de manière non exhaustive, comment la perception qu’a un individu d’un but qu’il doit réaliser peut influencer la motivation de ce même individu à accomplir ce but.
Besoins fondamentaux et buts.
L’accomplissement des besoins fondamentaux joue un rôle essentiel dans les processus motivationnels, et de surcroît dans la fixation des buts. En effet, ce sont eux qui nous poussent à agir afin de satisfaire la tension due à un non assouvissement de l’un d’entre eux. C’est pourquoi il nous est paru nécessaire de faire un court rappel de ce que sont les besoins fondamentaux de l’espace humaine. Un besoin se définit comme :
« […] un état de tension insatisfaisant lié a une nécessité (biologique, psychologique ou sociologique) existentielle, orienté vers une catégorie d’objets satisfacteurs qui pousse l’individu à rechercher un état d’équilibre plus satisfaisant par l’atteinte d’objets appartenant à un certain ensemble. »
Cette définition met en relief deux grands types de besoins fondamentaux et la recherche immuable de leur réalisation. Respectivement les besoins dits « biophysiologiques » (e.g. : manger, dormir, se reproduire) qui renvoient à de l’inné et les besoins dits psychologiques et/ou sociologiques (e.g.: se sentir estimé, besoins d’affiliation, besoin d’information, besoin de confort) qui renvoient à de l’acquis. Les besoins sociologiques sont donc enracinés dans la culture/l’environnement dans lequel à grandi et vécu l’individu alors que les besoins « biopsychologiques » sont intrinsèquement liés à tout être humain.
But de performance et but d’apprentissage. Dweck et Leggett (1988)
Cette conception repose sur le postulat que tout individu qui entreprend une activité peut aborder celle-ci sous deux angles d’implication différents. C’est ainsi que l’on distingue l’individu impliqué dans une tâche par l’ego (but de performance) de celui impliqué pour l’activité (but d’apprentissage).
La tâche par l’ego.
L’individu impliqué dans une tâche par l’ego se tient dans une perspective de recherche de performances, lesquelles pourront être évaluées par lui-même ou autrui par le biais de la comparaison sociale. Il est important ici de faire la distinction entre effort et compétence. En effet, l’individu va se comparer aux autres au travers de ces deux prismes afin de construire son point de vue et l’appréciation de ses propres compétences. Si un autre individu, à compétences égales, fournit les mêmes performances mais semble avoir mis moins d’effortdans la réalisation de la tâche que notre individu, alors ce dernier aura une perception négative de ses compétences. On peut observer l’effet inverse dans le cas où, toujours à compétences égales, l’individu semblant fournir moins d’efforts que ses pairs s’évaluera comme très compétant.
Il semble pertinent de noter que l’implication à faible effort amène peu de sentiments de culpabilité. Cette observation peut nous conduire à penser qu’un individu estimant son niveau de compétences faible pour une tâche donnée, peut être amené à monter qu’il fait moins d’efforts dans le but de réduire les sentiments d’embarras ou de honte.
Implication pour l’activité seule.
Le second but consiste en l’implication de l’individu pour l’activité seule, sans recherche de retour extérieur. Ici l’individu ne recherche pas la performance mais l’apprentissage, il est dans une recherche de perfectionnement de ces qualités intrinsèques. L’individu cherche simplement à gagner en compétences, en maîtrise sur l’activité cible.
Dans l’implication par l’activité la notion d’effort est différente de l’implication par l’ego. Effectivement, un haut niveau d’effort correspond ici à un gain de compétences ; l’idée étant : plus je m’investirai, plus je progresserai. L’effort est ici sous-tendu par l’idée de fierté entraînant un sentiment de forte maîtrise, puisque plus je fournis d’efforts plus j’aurai de chances de progresser. Il est le moteur de l’apprentissage, alors que dans l’implication par l’ego l’effort est plutôt perçu comme un frein, un danger pour notre propre estime de nos compétences, autrement dit, pour notre estime de soi.
Implications motivationnelles.
Les implications motivationnelles de ces deux approches nous semblent tout à fait importantes. Pour la première (tâche par l’ego), l’individu a tout intérêt à limiter son effort tout en essayant de maintenir un niveau de performance équivalent à ses pairs. Son but étant de laisser paraître qu’il est performant dans la tâche qu’il doit réaliser et de protéger l’estime faite par lui-même et ses pairs sur ses compétences dans la tâche. Ceci implique qu’une personne peu compétente pour la tâche a peu d’intérêt à y consacrer beaucoup d’effort dans le sens ou celui-ci est perçu comme le reflet de sa propre incompétence. De même, un individu aussi compétent que les autres mais fournissant moins d’effort se sur-valorisera.
Inversement, dans une perspective où l’individu s’implique pour l’activité, l’effort est inhérent au progrès, au gain d’aptitudes. L’individu a tout intérêt à fournir cet effort s’il veut atteindre son but.
Il est donc clair que la motivation peut intervenir de différentes façons selon le ou les buts que se fixe un individu. Nous avons vu ici que le but fixé est modérateur de la motivation, qui elle influe sur le niveau d’implication à la tâche.
Le positionnement d’objectifs et caractéristique des buts : difficulté et spécificité (Locke, 1967 ; Locke et Latham, 1990)
L’aspect motivationnel qui impacte les buts fixés par un individu dans une tâche donnée est dépendant des caractéristiques de ces mêmes buts. Ces caractéristiques sont au nombre de deux, nous les nommons la difficulté attribuée au but et la spécificité du but.
La difficulté attribuée au but.
La difficulté attribuée au but fait référence au degré de difficulté à affronter pour réaliser pleinement l’objectif que l’on s’est fixé. Elle aura un impact sur le degré d’implication que l’on mettra pour attendre le but recherché. Autrement dit, la difficulté joue directement sur la performance à la tâche. Un objectif jugé facile n’entraînera que peu d’effort de la part de l’individu, contrairement à un objectif jugé difficile. La performance de l’individu corrèle positivement avec la difficulté de la tâche. C’est à dire qu’un but difficile dynamise plus la personne qu’un but facile, dans le sens où les individus produisent des efforts équivalents à la difficulté de la tâche.
Prenons comme exemple un but simple comme la réalisation d’un compte rendu sur la dernière réunion du bureau versus un but difficile comme la réalisation de ce même compte rendu mais avec en plus l’élaboration d’une présentation orale devant synthétiser avec des illustrations concrètes toutes les idées de développement de l’entreprise qui ont été proposées. Ici la personne devant réaliser l’objectif difficile s’investira plus et fournira plus d’effort pour, à la fin, arriver à un travail de meilleure qualité que la personne à la recherche de l’accomplissement du but facile, puisque l’effort répond à la difficulté du but.
La spécificité du but
La spécificité du but correspond à la facilité avec laquelle on peut décrire le but recherché, l’objectif que l’on veut atteindre ; pour faire simple : ce que l’on doit faire. Par exemple, un but spécifique serait : «il faut que vous réussissiez aux moins 30 exercices ». L’opposé du but dit spécifique est le but dit vague. Ce dernier s’apparente plus à des énoncés du type : « faites de votre mieux ». De nombreuses études ont démontré la supériorité des buts spécifiques en termes de performances sur les buts vagues : la spécificité d’un but permet de réduire l’ambiguïté dans la pensée et la variabilité dans la performance.
Prenons comme exemple un objectif énoncé comme tel : « Il va falloir travailler dur pour redresser les comptes de l’entreprise ». L’interprétation de ce type d’énoncé (vague) peut aller de « je dois rapidement finir mes dossiers qui sont en retard, et faire le classement des archives » à « il faut que je boucle tous les dossiers restants, tout en mettant à jour le portefeuille client en relançant nos partenaires financiers ». Nous voyons que ces deux types de pensées peuvent produire une gamme très large d’interprétations et donc des niveaux de performances très différentes.
Nous avons vu les deux catégories de buts auxquelles l’individu peut être confronté. Il semble toutefois important de clarifier que les buts n’améliorent pas toujours les performances. En effet, il faut réussir à coupler les deux catégories de buts pour permettre à l’individu d’être fixé sur un objectif à la fois difficile et précis. Les buts difficiles créent l’énergie nécessaire pour dynamiser l’individu (nous avions vu que l’effort est directement proportionnel à la difficulté de la tâche) qui a pour optique de produire une performance, alors que la spécificité d’un but focalise cette énergie sur la direction à suivre permettant la planification et l’orientation de l’attention.
Il nous faut toutefois mettre ces conclusions au conditionnel dans le sens où l’aspect motivationnel n’est pas toujours le seul à rentrer en ligne de mire de la réalisation d’objectifs. Ainsi, il est important de mettre en lumière la formation, l’encadrement ou tout simplement la capacité intrinsèque de chacun. Dans le cas où un but difficile et précis n’améliore pas les performances, il serait pertinent de s’intéresser aux facteurs qui ne sont pas liés à la motivation.
Autres facteurs importants dans la fixation de buts: la rétroaction (Erez, 1977) & l’approbation du but (Erez et Kanfer, 1983).
Deux autres variables tiennent un rôle primordial dans la fixation de buts. Il s’agit de la rétroaction (Erez, 1977) et de l’approbation du but(Erez et Kanfer, 1983).
La rétroaction.
La rétroaction (la notion de feedback est plus communément employée en psychologie) renvoie à ce que l’individu réalisant une tâche peut avoir une notion du progrès qu’il fait. Elle peut prendre la forme d’un test, d’une note ; sa principale caractéristique étant de laisser une trace accessible du degré d’atteinte du but à réaliser. On peut la comparer à une sorte du curseur qui indiquerait où on en est par rapport à l’objectif que l’on s’était fixé. Ainsi, dans le cadre d’un but difficile et précis, une rétroaction montrant un écart but-performance non satisfaisant peut suffire à mobiliser davantage d’efforts (processus de réduction d’écart, Bandura et Cervone, 1983, 1986).
L’absence de rétroaction engendre une performance émotionnellement sans importance alors que sa présence permet de donner une satisfaction émotionnelle lorsque le but est atteint ou inversement. Cela joue un rôle motivationnel très clair, puisqu’il a clairement été établi que la satisfaction et l’insatisfaction ont des substrats motivationnels.
L’approbation du but.
Passons maintenant à l’approbation du but. Cette variable rentre en compte dans le cas de relations interpersonnelles où un individu A veut faire réaliser une tâche à un individu B (un entraîneur à un joueur, un professeur à un élève, etc). Quatre facteurs sont déterminants dans l’acceptation ou le rejet d’un but fixé de l’extérieur. Nous allons les exposer un à un.
Le premier facteur est la difficulté perçue du but imposé (à mettre en relief avec le point a « difficulté attribuée au but » vu au-dessus). En effet, un but perçu comme facile aura plus de chance d’être accepté qu’un but perçu comme difficile. Le mécanisme de pensée mis en place est le suivant : un objectif facile (contacter 2 clients pour réactualiser le portefeuille client) est vu comme raisonnable. Dans le cas d’un but difficile (contacter 10 clients et obtenir leur accord pour le contrat) le mécanisme de pensée sera plutôt le suivant : « c’est impossible, je ne vais même pas essayer ».
Le second facteur est la participation au processus de fixation de but. Cela correspond à l’implication qu’a la personne réalisant la tâche dans le but qu’elle est amenée à poursuivre. Un but ayant été fixé par l’individu essayant d’accomplir celui-ci aura une forte probabilité d’être accepté. A contrario, un but imposé de l’extérieur sera plus enclin à être refusé puisqu’il entraînera toujours un processus de négociation au cours du quel l’individu doit sentir que son opinion a pesé dans le processus de fixation du but et que ce dernier a été solidement argumenté par le demandeur.
La crédibilité de la source constitue le troisième facteur comptant dans l’approbation du but. Cette notion renvoie à la perception qu’a l’individu allant réaliser le but de la personne lui assignant ce but (la confiance accordée, le niveau de sympathie, le jugement de compétence et de dignité). Une personne non estimée par rapport à ces critères sera perçue comme autoritaire et antipathique et par conséquent ses directives ont moins de chance d’être motivantes pour ses pairs.
Enfin, le dernier facteur fait référence aux incitations extrinsèques. De fait, il a été montré que des récompenses extrinsèques (argent, note, bourse au mérite, reconnaissance du public, etc) ont une influence positive sur l’acceptation d’un but quelle que soit la difficulté perçue, l’origine et la crédibilité de la source.
Ainsi, nous avons vu que l’accomplissement d’un but et la motivation sont corrélés. En effet, suivant le positionnement qu’a un individu vis-à-vis du but fixé et selon si ce but est bien ou mal perçu, la motivation ne sera pas la même. Cependant, d’autres facteurs tiennent un rôle non négligeable dans ce processus. Il importe donc, au-delà du regard que nous portons habituellement à la seule motivation ou au seul but, de ne pas négliger les autres mécanismes qui influent sur ces deux phénomènes.
Bibliographie
Dewek, C.S., & Leggett, E.L. (1988). A Social-Cognitive Approach to Motivation and Personality. Psychological Review, Vol. 95, No.2, 256-273
Ertz, M. (1977). Feedback: A necessary condition for the goal setting-performance relationship. Journal of Applied Psychology, 62, 624-627.
Ertz, M., Earley, P. C., & Hulin, C. The impact of participation upon goal acceptance and performance: A two-step model. manuscript submitted for publication, 1982.
Ertz, M., & Kanfer, F. H. (1983). The role of goal acceptance in goal setting and task performance. Academy of Management Review, 8(3), 454-463.
Locke, E.A., & Latham, G.P. (1990). A theory of goal setting and task performance. Englewood Cliffs, NJ: Prentice-Hall.
Locke, E. A. (1968). Toward a theory of task motivation and incentives. Organizational behavior and human performance, 3(2), 157-189.
Locke, E. A. (1969). What is job satisfaction?. Organizational behavior and human performance, 4(4), 309-336.
Pour un rapide tour d’horizon
Les motivations. Alex Mucchielli. Que sais-je?, PUF.
Théories de la motivation au travail. Salvatore Maugeri. Les Topos, DUNOD.
La motivation. Fabien Fenouillet. Les Topos, 2e édition, DUNOD.