L’AFEST pour se former en travaillant ?

Le formateur AFEST peut être interne ou extene à l'entreprise

La question de l’adéquation entre les compétences d’un salarié, nouvellement recruté ou non, et son poste de travail est prégnante en entreprise. Cela d’autant plus si l’outil de travail évolue, ou qu’il nécessite un savoir-faire spécifique. L’action de formation en situation de travail (AFEST) peut être une solution pour répondre à cette problématique en permettant, par exemple, de former un salarié en interne, lorsque la recherche en externe ne donne pas satisfaction, ou pallier à un manque de formation sur le territoire en formant directement dans l’entreprise.

Le potentiel apprenant de la situation de travail

La situation de travail comme potentiel apprenant est très largement documentée dans la littérature, notamment en didactique professionnelle. Mais jusqu’à là, aucun cadre légal ne la reconnaissait comme pouvant être formative. Ce n’est plus le cas depuis que la loi de septembre 2018 (« pour la liberté de choisir son avenir professionnel » dite « Loi Avenir ») a donné une nouvelle définition de l’action de formation en reconnaissant la situation de travail comme possible espace de formation et vecteur d’apprentissage.

L’action de formation y est définie comme un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel qui peut être réalisée en tout ou partie à distance ou en situation de travail. Le lecteur attentif remarquera que l’on parle de « potentiel » apprenant de la situation de travail. Cela signifie que toute situation de travail n’est pas par essence apprenante et qu’il y a des conditions à réunir pour arriver à ce résultat. Mais nous verrons cela plus loin.

Qu’est-ce que c’est être “compétent” ?

Selon la didactique professionnelle, la compétence est « située », en ce sens qu’elle est « toujours relative à une situation ou à une classe de situations » (Mayen (P.), 2012 ). Un professionnel compétent est alors une personne capable de maîtriser un ensemble de situations professionnelles plus ou moins complexes. La compétence n’est pas considérée ici comme un objet inerte (ou comme une superposition de capacités, de savoir-faire, d’aptitudes, …) ou totalement inhérent à un individu, mais bien comme un savoir en action.

Plus encore, les chercheurs en didactique professionnelle (lire notamment Mayen, (P.), 2004, “Le couple situation-activité. Sa mise en œuvre dans l’analyse du travail en didactique professionnelle” ) considèrent la situation de travail comme ne pouvant pas être dissociée de l’activité. Ainsi, selon le concept de « couple situation-activité », la « situation est à la fois donnée en même temps qu’elle est créée par l’activité du sujet ». La situation de travail et l’activité sont considérées comme un « couple », car elles sont interdépendantes l’une de l’autre. Par ailleurs, toute situation de travail est un élément d’une classe plus large dont elle partage un ensemble de traits communs, que l’on nomme « classe de situations ».

Ainsi la situation de travail a un potentiel apprenant car la « classe de situations » dont elle fait partie se caractérise par la diversité (une même situation ne se répète pas à l’identique), la variabilité (variation du niveau de complexité ou dégradation des conditions d’exécution) et l’extensivité (une situation de travail s’inscrit dans un plus grand ensemble d’activités réalisées en amont et en aval, qui peuvent avoir des conséquences les unes sur les autres).

Et l’AFEST dans tout ça ?

Maintenant que la loi considère que la situation de travail peut être apprenante, il s’agit de pouvoir organiser les choses en entreprise pour que cela soit effectivement le cas. L’AFEST constitue un cadre, un « protocole » précis qu’il s’agit de suivre. Le rapport concluant l’expérimentation lancée en 2015 par la DGEFP donne, sur la base d’observations d’actions de formation en situation de travail dans 50 entreprises (TPE/PME), la bonne marche à suivre pour sa réalisation.

En effet, il s’agit de distinguer l’AFEST de la formation sur le tas, du tutorat, de la VAE ou d’une situation de travail simulée (et donc artificielle). Pour cela, quatre conditions sont à réunir.

1. Analyser l’activité

En amont, il est nécessaire de réaliser d’abord une analyse de l’activité (pour comprendre rapidement ce qu’est l’analyse d’activité vous pouvez lire cet article : https://laboragora.com/index.php/2015/12/29/la-difficulte-de-lanalyse-du-travail/ ), pour repérer les situations de l’exercice de l’activité qui ont un potentiel apprenant. Toute situation n’étant pas par essence apprenante. Chaque entreprise dispose de sa propre « palette » de situations, renforçant le constat qu’une variabilité des situations de travail existe pour des entreprises qui exercent dans un secteur identique.

Une situation de travail présente un potentiel apprenant lorsqu’il est par exemple possible de faire varier sa difficulté pour favoriser une progressivité dans l’exécution des tâches. Il s’agit donc ici d’étudier quelles seront les situations de travail que l’on va considérer comme porteuses d’un potentiel apprenant et voir comment ces situations sont adaptables et aménageables pour un but pédagogique. Précisons que lors d’une AFEST, la mise en situation doit se faire en dehors de la production normale de l’entreprise. C’est-à-dire que l’apprenant ne doit pas, en plus d’apprendre, produire au rythme habituellement attendu dans l’entreprise. Dans le cadre d’une AFEST, pour être apprenante, la situation doit être déconnectée de la production.

2. Désigner un formateur

Ensuite, il est important de désigner un formateur, qui peut être interne ou externe à l’entreprise, mais qui ne se positionne pas comme un expert. Son rôle sera essentiel notamment dans la 3e condition qui doit être réunie pour la réalisation d’une AFEST : la séquence réflexive.

3. La séquence réflexive

La séquence réflexive vise à « rendre l’activité observable, de pouvoir la décrire, en référence notamment aux manières de faire éprouvées, […] c’est-à-dire aux compétences à déployer en situation ». Ces séquences ont pour objet le « renforcement des apprentissages ». Elles font elles aussi l’objet d’une préparation et d’une organisation par le formateur. Le postulat formulé ici est le suivant : le travail, sans prise de recul sur ce qui se fait, n’est pas formateur en lui-même. Le rapport sur l’expérimentation insiste sur ce point en précisant que cette séquence « n’est pas réductible à un « simple » échange – sous forme d’entretien de bilan – entre l’apprenant et son formateur ». Cet échange doit permettre de convoquer « des supports témoins de l’activité » (vidéo, journal de bord, etc.) et des « supports qui constituent des références extérieures à l’activité », tels qu’un référentiel d’activité, de certification, support de formation, ou tout autre élément qui permet de « caractériser ce qu’il y a à faire ». Il s’agit ici d’extraire l’apprenant de la situation de travail pour engager une analyse de son activité.

4. Évaluer les acquis

Enfin, l’évaluation spécifique des acquis constitue la dernière condition de réalisation d’une AFEST. Elle se différencie de l’évaluation de la satisfaction de l’apprenant et peut être réalisée à la suite de l’AFEST ou bien jalonner le parcours de formation.

La question de l’adéquation entre les compétences d’un salarié, nouvellement recruté ou non, et son poste de travail est prégnante en entreprise. Cela d’autant plus si l’outil de travail évolue, ou qu’il nécessite un savoir-faire spécifique. L’action de formation en situation de travail (AFEST) peut être une solution pour répondre à cette problématique.

Figure : Récapitulatif des différentes étapes intervenant avant, pendant et après une AFEST (source : rapport final de l’expérimentation relative aux « actions de formation en situation de travail )

Nous avons vu qu’avant de commencer une AFEST, il faut être en mesure de réunir les bonnes conditions de sa mise en œuvre : analyser l’activité pour repérer les situations apprenantes, désigner un formateur, être en mesure d’aménager des séquences réflexives et une évaluation des acquis. Une fois ces conditions réunies, l’apprenant pourra suivre une action de formation de qualité. Celle-ci, et c’est le cœur de l’AFEST, est construite autour de deux phases que sont la mise en situation de travail (aménagée de façon à ce qu’elle soit apprenante) et la séquence réflexive (qui permet à l’apprenant de prendre du recul sur ce qui vient d’être fait). Un processus itératif peut exister entre ces deux phases, dans une logique de progression des apprentissages (en augmentant la difficulté de la situation de travail par exemple).

Réussir une AFEST ne s’improvise pas

Le succès d’une AFEST repose beaucoup sur la réussite de l’ingénierie qui est faite en amont pour analyser et repérer les situations de travail qui ont un potentiel apprenant. Compte tenu des coûts éventuels de cette ingénierie, il semble pertinent de réaliser une étude d’opportunité pour l’entreprise qui souhaiterait déployer une AFEST. Elle peut pour cela se faire accompagner par son Opérateur de Compétences (pour connaitre son OPCO consulter https://www.cfadock.fr/# ) . Notons également qu’il n’y a pas de financement spécifique systématique pour l’AFEST, mais que celle-ci peut s’inscrire dans un parcours de formation plus large et multimodal. Ainsi, elle ne se substitue pas aux autres approches pédagogiques, mais offre une opportunité supplémentaire de rendre la situation de travail apprenante et de former ses salariés.

Pour résumer très sommairement, et distinguer l’AFEST de l’apprentissage sur le tas, modalité qui a priori lui ressemble le plus, retenons les quatre distinctions suivantes. L’apprentissage sur le tas ne sollicite ni ingénierie en amont, ni analyse de travail, ni séquence réflexive pour analyser ses pratiques, ni évaluation. L’AFEST ne s’improvise pas, elle se prépare. En cela, il s’agit d’une modalité de formation exigeante mais qui peut représenter un grand bénéfice pour la gestion des compétences dans l’entreprise.

Pour aller plus loin

  • Mayen (P.), 2012, « Les situations professionnelles : un point de vue de didactique professionnelle », Phronesis, Vol. 1, n°1, Janvier, p. 59–67
  • Pastré (P.), 2011, « Naissance de la didactique professionnelle » in Pastré (P.), éd., La didactique professionnelle. Approche anthropologique du développement chez les adultes, Paris, PUF, p. 11-57.
  • Pastré (P.), Mayen (P.), Vergnaud (G.), 2006, « La didactique professionnelle », Revue française de pédagogie, n°154, janvier-mars, p.145-198.

Références

image de couverture : Andrea Piacquadio