Chronique scientifique antisexiste #002 — Le cas Greta Thunberg, pourquoi les femmes en colère dissuadent alors que les hommes en colère convainquent ?

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Tous les mois, Violette Kerleaux, chercheuse en psychologie et fondatrice du Purple Lab, décrypte pour vous un article scientifique sur le sexisme et le genre en psychologie sociale. Les objectifs : vulgariser les sciences humaines, mais aussi protéger les travaux des chercheur·se·s, parfois déformés dans les médias classiques.

Pour les femmes, incarner le pouvoir est un réel défi. Les études démontrent que les femmes sont pénalisées quand elles agissent de manière dominante ou lorsqu’elles transgressent les stéréotypes de genre [1 ; 2 ; 3].

Il suffit d’observer la manière dont très récemment, Greta Thunberg a essuyé de virulentes critiques sur ses prises de position et sa manière de s’exprimer pour comprendre ce phénomène. Alors pourquoi de telles résistances ont émergé face à discours sur l’urgence climatique qui fait plutôt consensus dans les médias ?

Dans leur étude publiée en 2015, Jessica Salerno et Peter Hagene[4] répondent à cette interrogation et mettent en évidence pourquoi les femmes peuvent parfois être perçues comme moins convaincantes que leurs homologues masculins.

Les femmes sont-elles moins influentes ? L’étude nous apprend que cela dépend de l’émotion avec laquelle elles expriment leur opinion.

Pour tester leur hypothèse, les chercheur·e·s simulaient sur ordinateur une délibération de juré·e·s dans le cadre d’un procès pour meurtre. À l’aide d’un ensemble de preuves (déclarations de témoins oculaires  d’expert·e·s) le participant·e devait se positionner sur la culpabilité du suspect. Après cette étape, les participant·e·s devaient indiquer leur verdict « coupable ou non coupable » et la confiance qu’il accordait à leur choix. Les éléments présentés étaient délibérément ambigus pour éviter que les participant·e·s soient totalement certain·e·s de leur position.

Puis, les participant·e·s de l’étude se retrouvaient, toujours par ordinateur, dans un groupe de 6 personnes dans lequel ils devaient discuter en commun de ce verdict. L’ensemble du script présenté au participant était scénarisé de telle manière que, pendant ces délibérations, l’un·e des juré·e·s présent·e exprimait systématiquement un avis contradictoire à l’ensemble du groupe. Seul le genre de ce·tte juré·e « dissident·e » ou l’émotion avec laquelle il·elle exprimait son opinion étaient modifiés dans le scénario. Dans le scénario de l’expérimentation, le dissident·e était soit une femme soit un homme et exprimait son émotion avec peur, colère ou sans aucune émotion. Après cette deuxième étape, les chercheur·se·s testaient à nouveau le verdict des participant·e·s et la confiance qu’ils·elles accordaient à leur choix.

Leur objectif était simple : à arguments identiques, le genre du dissident ainsi que l’émotion qu’il affiche pour faire valoir son point de vue ont-ils une influence sur le verdict des participant·e·s ?

La recherche met en évidence que, non seulement la colère peut pénaliser l’influence sociale des femmes, mais qu’elle augmente celle des hommes.

Selon les résultats de cette expérimentation, une femme qui exprime de la colère, est perçue comme plus émotionnelle et de fait moins crédible, ce qui renforce le niveau de confiance que les participant·e·s accordaient à leur verdict initial. À l’inverse, lorsque c’est l’homme qui exprime son opinion avec colère, il est perçu comme plus émotionnel et moins crédible, mais cela n’affecte pas la force de son influence, puisqu’il provoque quand même chez les participant·e·s une modification de leur verdict.

Il semblerait donc que certains outils rhétoriques utilisés en politique pour convaincre, ne puissent pas être utilisés par tout·e·s. Comme le montre l’exemple de Greta Thunberg, la colère est une émotion interdite aux femmes dans l’exercice du pouvoir alors qu’elle est un tremplin pour véhiculer des idées chez les hommes. En conclusion : faites attention à avoir un esprit critique face aux avis autoritaires lorsqu’ils sont exprimés par des hommes et laissons un peu les femmes s’insurger pour défendre leurs idéaux…

Pour aller plus loin

#desstéréotypesquicollentàlapeau : selon plusieurs recherches, lorsque les hommes expriment de la colère, ils sont perçus comme plus compétents. Chez les femmes, c’est l’effet inverse puisque chez elle l’expression de la colère les fait paraitre moins compétentes [5 ; 6]

#doublestandard : les individus ont tendance à attribuer le fait d’exprimer une émotion chez les femmes à des causes internes « les femmes sont naturellement émotionnelles » et chez les hommes à des causes externes « il a eu une mauvaise journée » [5 ; 7]. C’est ce qu’on appelle en psychologie sociale un biais d’attribution causale*.

Définitions

*Influence sociale : « L’influence sociale concerne les processus par lesquels les individus et les groupes façonnent, diffusent et modifient leurs modes de pensées et d’actions lors d’interactions sociales réelles ou symboliques. » (Définition du site Psychologie Sociale).

*Biais d’attribution causale : erreurs survenant souvent dans l’explication que les individus font d’un comportement ou d’un évènement. Certaines de ces erreurs apparaissent de manière systématique, comme la surestimation de cause externe (ou dispositionnelles et personnelles) pour expliquer les différences femmes/hommes au détriment des causes dites externes (c’est-à-dire situationnelle ou contextuelle).

Références

[1] Carli, L. L. (2001). Gender and social influence. Journal of Social Issues, 57, 725–741. http://dx.doi.org/10.1111/0022-4537.00238

[2] Heilman, M. E., Wallen, A. S., Fuchs, D., & Tamkins, M. M. (2004). Penalties for success: Reactions to women who succeed at male gendertyped tasks. Journal of Applied Psychology, 89, 416–427. http://dx.doi.org/10.1037/0021-9010.89.3.416

[3] Rudman, L. A., & Fairchild, K. (2004). Reactions to counterstereotypic behavior: The role of backlash in cultural stereotype maintenance. Journal of Personality and Social Psychology, 87, 157–176. http://dx.doi.org/10.1037/0022-3514.87.2.157

[4] Salerno, J. M., & Peter-Hagene, L. C. (2015). One angry woman: Anger expression increases influence for men, but decreases influence for women, during group deliberation. Law and Human Behavior, 39(6), 581–592. https://doi.org/10.1037/lhb0000147

[5] Brescoll, V. L., & Uhlmann, E. L. (2008). Can an angry woman get ahead? Status conferral, gender, and expression of emotion in the workplace. Psychological Science, 19, 268–275. http://dx.doi.org/10.1111/j.1467-9280.2008.02079.x

[6] Tiedens, L. Z. (2001). Anger and advancement versus sadness and subjugation: The effect of negative emotion expressions on social status conferral. Journal of Personality and Social Psychology, 80, 86–94. http://dx.doi.org/10.1037/0022-3514.80.1.86

[7] Barrett, L. F., & Bliss-Moreau, E. (2009). She’s emotional. He’s having a bad day: Attributional explanations for emotion stereotypes. Emotion, 9, 649–658. http://dx.doi.org/10.1037/a0016821

Image de couverture par Lëa-Kim Châteauneuf.