7 idées reçues sur les biais cognitifs

On entend beaucoup parler des biais cognitifs que ce soit sur les réseaux sociaux, dans des blogs ou des séminaires, notamment depuis la pandémie de COVID-19. Voici donc de quoi apporter quelques précisions sur ce concept et contrebalancer les idées reçues que j’ai pu rencontrer.

Mais avant d’aller plus loin : c’est quoi un biais cognitif ?! Les biais cognitifs correspondent à une déformation systématique dans la manière avec laquelle nous traitons la réalité1,2. Ils découlent de nos heuristiques de raisonnement, c’est-à-dire d’ensembles de processus cognitifs rapides et économiques.

Les biais cognitifs sont connus depuis plusieurs décennies par les psychologues. Certains le sont même depuis plus d’un siècle, comme par exemple certains biais mémoriels découverts par Hermann Ebbinghaus en… 19133 ! Le terme « biais » apparaitra plus tard, notamment sous l’impulsion des travaux de Daniel Kahneman et Amos Tversky, dans les années 704, 5.

Voyons ensemble quelques idées reçues !

Idée reçue 1 : Les biais cognitifs découlent d’un mauvais fonctionnement de notre cerveau

Au contraire, les biais cognitifs naissent du bon fonctionnement de notre cerveau. Ce dernier est le fruit d’une évolution de plusieurs millions d’années, au cours desquels des modes de pensées ont été générés puis sélectionnés pour favoriser notre survie. Ceci a abouti à la formation d’un grand nombre d’heuristiques de raisonnement, c’est-à-dire des raccourcis de pensées économiques en temps et en ressources. Ils nous permettent de fournir une réponse rapide et suffisamment efficace aux contraintes imposées par notre environnement2.

Le problème est qu’ils n’ont pas évolués aussi rapidement que notre mode de vie et certains d’entre eux se retrouvent peu adaptés à nos sociétés modernes. C’est cette inadaptation qui cause ces cas d’irrationalité que nous appelons « biais cognitifs ». Mais n’oublions pas que beaucoup d’heuristiques nous sont encore très utiles au quotidien. Par exemple, nous percevons très facilement notre prénom, même dans le bruit.

Idée reçue 2 : Le conformisme est un biais cognitif

Le conformisme n’est pas un biais cognitif, même si cette idée est répandue. Il y a plusieurs raisons à cela. Déjà, le conformisme concerne surtout des comportements (agir comme les autres), alors que les biais cognitifs sont… eh bien… cognitifs, c’est-à-dire qu’ils concernent la pensée.

Ensuite, se conformer c’est se soumettre à une norme. Mais ce n’est pas parce qu’on se soumet à une norme qu’on adhère à celle-ci. Par exemple, on peut très bien exprimer une opinion en public, tout en ayant une opinion contraire en privé. Le but est d’avoir la paix sociale et d’éviter d’être rejeté.e par le groupe. Les sociopsychologues appellent cela « la complaisance »7.

Dans ce cas, notre vision de la réalité n’est pas modifiée. Elle n’est pas déformée par l’influence du groupe, même si nous agissons en accord avec lui. Autrement dit, la pression du groupe ne biaise pas notre traitement de la réalité.

Idée reçue 3 : La discrimination est un biais cognitif

L’un des thèmes autour desquels on parle souvent des biais cognitifs est la discrimination. En effet, beaucoup de phénomènes discriminants sont la conséquence de certains de nos biais cognitifs. On a par exemple tendance à considérer que les membres des autres groupes se ressemblent davantage qu’en réalité (effet d’homogénéité exogroupe8).

Pour autant, la discrimination n’est pas un biais cognitif à proprement parler. Elle englobe énormément de choses, notamment des stéréotypes, des préjugés et des comportements. En cela, elle dépasse largement le cadre spécifique des biais cognitifs. Autrement dit, si les concepts sont parfois liés, ils restent distincts.

Idée reçue 4 : Les inégalités sont des biais cognitifs

On trouve l’idée reçue selon laquelle les inégalités sociales sont des biais cognitifs. Les biais cognitifs peuvent être source de discrimination, qui elle-même peut créer des inégalités entre les personnes. Malheureusement, les inégalités ne sont pas des illusions créées par notre cerveau : elles existent bel et bien.

Idée reçue 5 : Certaines personnes ont plus de biais que d’autres

Cette idée est rarement affirmée telle quelle. Mais, en écoutant ou en lisant certains propos, il semble bien qu’elle soit assez répandue. Nous sommes tous et toutes soumis.es à des biais cognitifs. Il n’y a pas d’un côté des personnes éduquées et de l’autres des ignorantes. Les biais cognitifs c’est pour tout le monde ! Bien sûr, il existe certainement des différences interindividuelles, mais il serait dangereux de pécher par excès de confiance en soi. Ne biaisons pas notre vision des biais !

Idée reçue 6 : Nos biais cognitifs nous influencent en permanence

Heureusement nous ne sommes pas constamment sous l’emprise de nos biais cognitifs. Comme nous le présentions plus haut, les biais cognitifs découlent d’heuristiques de raisonnement qui sont des sortes de raccourcis de pensées. Mais notre cognition ne repose pas uniquement sur ces heuristiques.

La sociopsychologue Shelly Chaiken a proposé que nous pouvons traiter l’information de deux manières : heuristique et systématique9. Cette deuxième voie correspond à un traitement approfondi des informations. Elle est plus couteuse en temps et en ressources cognitives, mais plus efficace et précise. C’est elle que nous utilisons quand nous voulons donner une réponse sûre à une question (par exemple, quand elle nous tient à cœur). Daniel Kahneman détaillera cette dichotomie dans son célèbre livre de 2011, avec deux systèmes de pensée (Système 1. Rapide = heuristique ; Système 2. Lent = systématique)10.

Lorsque nous sommes en mode systématique, les biais cognitifs nous impactent moins. Nous obtenons alors une vision plus juste de la réalité.

Idée reçue 7 : Nous pouvons dépasser nos biais cognitifs

On ne peut pas faire disparaitre nos biais cognitifs, puisqu’ils sont fortement ancrés en nous2. A vrai dire, ce ne serait même pas dans notre intérêt, puisqu’ils nous permettent de répondre efficacement et rapidement à la plupart des situations de notre quotidien.

Mais il reste possible de les contrôler et de limiter leur influence sur notre vie. Y parvenir demande un travail sur soi. La plupart du temps, il est difficile et long. Aussi, méfiez-vous des offres de coaching ou des formation trop alléchantes qui vous promettent de résoudre le problème des biais cognitifs en deux temps trois mouvements.

Grossièrement, ce travail sur soi consiste (1) à prendre conscience de nos biais cognitifs, (2) à repérer les situations dans lesquelles ils ont perturbé notre vision de la réalité et (3) à réévaluer ces situations de manière approfondie (mode systématique, lent). A force d’entrainement, ces trois phases se feront plus aisément et instinctivement, permettant de dépasser en partie nos biais dans les situations où cela est nécessaire.

Conclusion

Cette liste d’idées reçues n’est bien sûr pas exhaustive et sera sûrement complétée par la suite. L’objectif de cet article reste d’apporter quelques précisions à un sujet de plus en plus populaire. Nous espérons ainsi permettre une meilleure utilisation des savoirs en psychologie par tout un chacun.

Certains biais cognitifs sont connus de longue date, mais de nouveaux sont découverts régulièrement par les scientifiques. Plusieurs listes des biais cognitifs sont disponibles sur internet. Le Wikipédia anglophone en comporte une assez complète et surtout sourcée. Retrouvez-la dans ci-dessous dans le paragraphe « Aller plus loin ».

Aller plus loin

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Sources

  1. Blumenthal-Barby, J. S., & Krieger, H. (2015). Cognitive biases and heuristics in medical decision making: a critical review using a systematic search strategy. Medical Decision Making, 35(4), 539-557.
  2. Haselton, M. G., Nettle, D., & Murray, D. R. (2015). The evolution of cognitive bias. The handbook of evolutionary psychology, 1-20.
  3. Ebbinghaus, Hermann (1913). On memory: A contribution to experimental psychology. New York: Teachers College.
  4. Kahneman, D.,& Tversky, A. (1973). On the psychologyof prediction. Psychological Review, 80, 237–251.
  5. Tversky, A., & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases. Science, 185, 1121–1131.
  6. Moray, Neville (1959). “Attention in dichotic listening: Affective cues and the influence of instructions” (PDF). Quarterly Journal of Experimental Psychology. 11 (1): 56–60. doi:10.1080/17470215908416289. ISSN 0033-555X.
  7. Kelman, H. C. (1958). Compliance, identification, and internalization three processes of attitude change. Journal of conflict resolution, 2(1), 51-60.
  8. Park, Bernadette; Rothbart, Myron (1982). “Perception of out-group homogeneity and level of social categorization”. Journal of Personality and Social Psychology. 42 (6): 1051–1068. doi:10.1037/0022-3514.42.6.1051.
  9. Chaiken, S. (1980). Heuristic Versus Systematic Information Processing and the Use of Source Versus Message Cues in Persuasion. Journal of Personality & Social Psychology, 39(5), 752-766
  10. Kahneman, D. (2011). Thinking, fast and slow. New York : Macmillan.

image de couverture : George Becker

Benjamin Pastorelli

Benjamin est docteur en psychologie, consultant, thérapeute et enseignant au Mary Immaculate College (Irlande) Son expertise se centre autour de la diversité, de l'inclusion, des discriminations et de l'interculturalité. Il œuvre pour la mise en valeur des différences et la lutte contre les discriminations, afin de libérer le potentiel de la diversité. Benjamin est aussi vulgarisateur scientifique et blogueur depuis de nombreuses années.