Chronique scientifique antisexiste #004 – Pourquoi les gens qui se pensent les plus égalitaires sont aussi ceux qui sont le sont le moins ? Le sexisme et le racisme expliqué à travers l’effet Dunning-Kruger

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Temps de lecture : 5 minutes

Tous les mois, Violette Kerleaux, chercheuse en psychologie et fondatrice du Purple Lab, décrypte pour vous un article scientifique sur le sexisme et le genre en psychologie sociale. Les objectifs : vulgariser les sciences humaines, mais aussi protéger les travaux des chercheur·se·s, parfois déformés dans les médias classiques.

Aujourd’hui, pour des raisons idéologiques, mais aussi d’image (celle que nous transmettons à la Société et celle que nous avons de nous-mêmes [1]), nous sommes tou·te·s motivé·e·s par le fait d’apparaitre comme non discriminant·e·s. Cette motivation nous pousse à être (ou du moins, paraitre) non racistes et non sexistes. Pourtant les études sont unanimes sur le sujet, les biais genrés et racistes ne dépendent pas que de notre volonté, mais bien d’un ensemble de mécanismes automatiques et contrôlés appartenant à notre système cognitif, émotionnel et idéologique.

Si vous pensez être plus égalitaire que les gens autour de vous, selon la science, c’est probablement que vous ne l’êtes pas.

Dans cette lignée, une étude parue l’année dernière met en évidence que plus nous nous pensons égalitaires, moins nous avons tendance à l’être [2]. Les études scientifiques nous indiquent qu’au-delà d’être un état d’esprit ou une valeur, le fait d’être non discriminant requiert de disposer de certaines compétences.

Dans leur étude originelle [3] Justin Kruger et David Dunning ont mis en évidence que plus on est mauvais dans un domaine plus on a tendance à surestimer ses compétences par rapport aux autres. À l’inverse, plus on est bon dans un domaine, plus on a tendance à sous-estimer ses capacités par rapport aux autres. Autrement dit, plus on est incompétent, plus on a du mal à percevoir que l’on est incompétent [4].

Lorsque l’on se croit « pas du tout sexiste ou raciste » c’est théoriquement plutôt faux.

Des chercheur·e·s en Grande Bretagne ont voulu tester le modèle de Dunning-Kruger considérant que le fait d’être non sexiste ou raciste demande un certain niveau d’aptitudes cognitives. D’abord, ils demandaient aux participant·e·s de répondre à une série de questions sur leur perception concernant leur propre égalitarisme, leurs préjugés racistes et genrés explicites et implicites*. Ensuite ces mêmes individus assistaient à une formation sur la diversité qui abordait justement les mécanismes de préjugés et de discrimination. À la fin de l’intervention, les chercheur·e·s réévaluaient l’autoperception d’égalitarisme des participant·e·s.

De manière générale, les résultats démontrent 1/ que tou·te·s les participante·s de l’étude surestimaient leur niveau d’égalitarisme par rapport au reste des autres individus, 2/ tout comme dans la théorie de Dunning-Kruger, cette surestimation était plus importante chez les individus qui justement étaient les plus sexistes ou racistes, 3/ malgré les informations données aux participante·s lors de la formation sur ces fameux biais inconscients, la perception que les individus avaient de leur niveau d’égalitarisme (comparativement aux autres) n’a pas évolué.

« Les individus qui ont le plus de préjugés refusent de voir leurs propres biais (en partie) parce qu’ils ne possèdent pas les compétences métacognitives nécessaires pour reconnaitre leur propre (manque) d’égalitarisme » : West et Eaton (2019) [2].

Ce que l’on peut apprendre de cette expérience ? Il ne suffit pas d’expliquer aux individus qu’ils ont des biais pour les éradiquer de leur système mental. Pourtant de nombreux programmes de formation ou de sensibilisation dont la vocation consiste à réduire les inégalités au travail se concentrent uniquement sur le fait de découvrir nos biais inconscients [5] ou apprendre à déceler le sexisme/racisme ordinaire. Les humain·e·s ont des systèmes de pensée complexe et la rééducation que les professionnel·le·s doivent proposer devrait se fonder sur des techniques spécifiques et une meilleure connaissance de la psychologie des individus [6 ; 7 ; 8]. Si vous voulez en savoir plus sur ces méthodes, vous pouvez lire l’intégralité des articles de LaborAgora ou tout simplement demander conseils à un·e psychologue social·e !

Le petit conseil péremptoire de la chronique : que vous soyez Noirs, Blancs, Verts, femmes, hommes, si vous voulez être moins sexistes ou racistes, commencez par vous avouer à vous-même que vous l’êtes forcément un peu…

Pour aller plus loin

#Ifeelsmart : les individus qui se perçoivent comme intelligents sont aussi ceux qui sont les plus racistes. À l’inverse les individus qui sont intelligents (contrôlé par un test d’intelligence réel) sont ceux qui sont les moins racistes [9].

#leshommesetlesfemmesviennentdelaplaèneterre : pour réduire le sexisme, il faut déconstruire les idéologies et notamment les croyances selon lesquelles les femmes et les hommes seraient différents par nature. Dans une étude parue en 2016, des chercheur·e·s faisaient baisser le niveau de sexisme des participant·e·s tout simplement en réduisant les croyances concernant les différences de genre entre les femmes et les hommes [10].

Retrouvez les autres épisodes de la Chronique anti-sexiste de Violette Kerleaux !

Définitions

*Test d’Association Implicite : test qui permet de mesurer les stéréotypes automatiques chez les individus à l’aide d’exercices qui mesurent des temps de réactions et de réponses en lien avec des concepts concernant le genre ou la race, etc. Pour savoir à quoi ressemble un Test d’Association Implicite, évaluez-vous : https://implicit.harvard.edu/implicit/

Références

[1] Klonis, S. C., Plant, E. A., & Devine, P. G. (2005). Internal and external motivation to respond without sexism. Personality and Social Psychology Bulletin, 31(9), 1237-1249.

[2] West, K., & Eaton, A. A. (2019). Prejudiced and unaware of it: Evidence for the Dunning-Kruger model in the domains of racism and sexism. Personality and individual differences, 146, 111-119.

[3] Kruger, J., & Dunning, D. (1999). Unskilled and unaware of it: How difficulties in recognizing one’s own incompetence lead to inflated self-assessments. Journal of Personality and Social Psychology, 77(6), 1121–1134. doi : 10.1037/0022-3514.77.6.1121.

[4] Dunning , D. (2011). The Dunning–Kruger effect: On being ignorant of one’s own ignorance. In Advances in experimental social psychology (Vol. 44, pp. 247-296). Academic Press.

[5] Pastorelli, B. (2020). 7 idées reçues sur les biais cognitifs. LaborAgora.

[6] Paluck, E. L. (2006). Diversity training and intergroup contact: A call to action research. Journal of Social Issues, 62(3), 577-595.

[7] Paluck, E. L., & Green, D. P. (2009). Prejudice reduction: What works? A review and assessment of research and practice. Annual review of psychology, 60, 339-367.

[8] Zawadzki, M. J., Danube, C. L., & Shields, S. A. (2012). How to talk about gender inequity in the workplace: Using WAGES as an experiential learning tool to reduce reactance and promote self-efficacy. Sex Roles, 67(11-12), 605-616.

[9] De Keersmaecker, J., Onraet, E., Lepouttre, N., & Roets, A. (2017). The opposite effects of actual and self-perceived intelligence on racial prejudice. Personality and Individual Differences, 112, 136-138.

[10] Zell, E., Strickhouser, J. E., Lane, T. N., & Teeter, S. R. (2016). Mars, Venus, or Earth? Sexism and the exaggeration of psychological gender differences. Sex Roles, 75(7-8), 287-300.

image de couverture : David Gomes