Gén.X, Millennials, … Un mythe dangereux ?

En vous baladant sur internet (ou d ‘autres médias d’ailleurs), vous êtes certainement tombés sur un grand nombre d’articles portant sur les différences générationnelles au travail. On y parle du choc des générations, de comment bien manager les salariés issus de telle génération, de comment telle génération voit le travail, etc. Pourtant ce découpage en générations est plus proche de la fiction que du fait avéré. Mais il est surtout dangereux pour le monde du travail. Regardons cela de plus près !

Déjà, de quoi parle-t-on exactement ? Si le concept de génération tire ses origines de la sociologie, la conception véhiculée dans le monde du travail est en réalité plutôt une création journalistique. Cette idée propose de classer les personnes comme présenté ci-dessous. Ces générations s’étant développées dans des environnements différents (notamment à l’adolescence) elles sont supposées avoir des comportements et des attitudes différentes au travail.

image de Joebin Cadile

Différences générationnelles : mythe ou réalité ?

Cette classification générationnelle, si elle est très populaire, s’effrite assez rapidement devant les résultats de la recherche scientifique.

Dans une revue de littérature, David Costanza et Lisa Finkelstein1 concluent à un manque de preuves empiriques probantes pour soutenir cette classification. Ces auteur-e-s ajoutent qu’il n’y a, de toute façon, pas vraiment de raison théorique que de telles distinctions existent. Dans la même veine, Emma Parry et Peter Urwin2 proposent d’ignorer cette conception devant le manque d’arguments en sa faveur.

Bien sûr, il serait exagéré de dire qu’il n’y a aucune différence entre les générations. L’année dernière (2018), Jeffrey Cucina et ses collègues3 ont étudié les différences entre générations concernant plusieurs attitudes à l’égard du travail (satisfaction, engagement, etc.). Des différences existent, mais elles sont faibles, souvent négligeables. En 2008, Melissa Wong et ses collègues4 montraient déjà des résultats similaires concernant la personnalité et la motivation.

De manière générale, la réalité parait bien loin des stéréotypes véhiculés dans le monde du travail, comme le concluaient John Becton et ses collègues5. En effet, il s’agit bien de stéréotypes et, en tant que tels, ils peuvent amener des dérives dangereuses.

Une conception dangereuse

Les différences que nous percevons entre les générations sont largement supérieures aux différences réelles. C’est ce qu’ont montré Scott Lester et ses collègues6 en évaluant les différences réelles et perçues entre générations, concernant leurs préférences liées au travail (travail d’équipe, autonomie, sécurité, flexibilité, etc.). Autrement dit, notre vision des membres des différentes générations est biaisée. Considérer que les « millennials » sont obsédés par leur image est du même niveau que dire aux femmes qu’elles sont moins bonnes en math que les hommes !

Conserver cette perception d’un monde qui n’existe pas vraiment est dangereux. Comme l’a montré Annick van Rossem7, cette conception ouvre la voie à des stéréotypes générationnels et à l’apparition de préjugés. En façonnant des catégories sociales, cette conception nous incite à classer nos collègues entre « ceux qui sont comme nous » et « ceux qui nous sont différents ». Elle est la prémisse à des comportements discriminants, que ce soit dans le recrutement ou le management.

Nous avons une tendance naturelle à classer les personnes. Cela nous aide à mieux penser le monde. Mais ces conceptions sont très souvent biaisées et la porte ouverte à la discrimination

Conclusion

La distinction entre plusieurs générations, avec des attitudes différentes à l’égard du travail, se désagrège à la lumière des résultats de la recherche scientifique. Certes, des différences existent, mais elles sont faibles, souvent négligeables. Les différences que nous percevons sont donc largement surévaluées. Qui plus est, cette conception est la porte ouverte à des dérives. Elle génère des préjugés, des stéréotypes et encourage la discrimination.

Mais le problème est plus grand qu’il n’en a l’air. Les (pseudo-)théories qui sous-tendent cette conception apporte de la légitimité à cette discrimination et à ces préjugés. Elles leur donnent du crédit, sous couvert de formations, d’infographies ou de conférences. A une époque où la lutte contre les préjugés et les discriminations au travail se démène pour l’égalité, ces distinctions générationnelles ont l’allure d’un retour en arrière.

Pourtant, ne gagnerions-nous pas à nous rappeler que chacun est unique, et à considérer l’autre en tant que personne, plutôt qu’en tant que membre d’une catégorie sociale donnée ? Ceci ne nous donnerait-il pas une vision plus juste, plus vrai d’elle ou de lui ? Je pense que oui !

Aller plus loin

Références

  1. Costanza, D. P., & Finkelstein, L. M. (2015). Generationally Based Differences in the Workplace: Is There a There There? Industrial and Organizational Psychology, 8(3), 308–323.
  2. Parry, E., & Urwin, P. (2011). Generational Differences in Work Values: A Review of Theory and Evidence. International Journal of Management Reviews, 13(1), 79–96. https://doi.org/10.1111/j.1468-2370.2010.00285.x
  3. Cucina, J. M., Byle, K. A., Martin, N. R., Peyton, S. T., & Gast, I. F. (2018). Generational differences in workplace attitudes and job satisfaction. Journal of Managerial Psychology, 33(3), 246–264. https://doi.org/10.1108/JMP-03-2017-0115
  4. Wong, M., Gardiner, E., Lang, W., & Coulon, L. (2008). Generational differences in personality and motivation: do they exist and what are the implications for the workplace? Journal of Managerial Psychology, 23(8), 878–890. https://doi.org/10.1108/02683940810904376
  5. Becton, J. B., Walker, H. J., & Jones-Farmer, A. (2014). Generational differences in workplace behavior. Journal of Applied Social Psychology, 44(3), 175–189. https://doi.org/10.1111/jasp.12208
  6. Lester, S. W., Standifer, R. L., Schultz, N. J., & Windsor, J. M. (2012). Actual Versus Perceived Generational Differences at Work. Journal of Leadership & Organizational Studies, 19(3), 341–354. https://doi.org/10.1177/1548051812442747
  7. Van Rossem, A. H. D. (2018). Generations as social categories: An exploratory cognitive study of generational identity and generational stereotypes in a multigenerational workforce. Journal of Organizational Behavior. https://doi.org/10.1002/job.2341

Benjamin Pastorelli

Benjamin est docteur en psychologie, consultant, thérapeute et enseignant au Mary Immaculate College (Irlande) Son expertise se centre autour de la diversité, de l'inclusion, des discriminations et de l'interculturalité. Il œuvre pour la mise en valeur des différences et la lutte contre les discriminations, afin de libérer le potentiel de la diversité. Benjamin est aussi vulgarisateur scientifique et blogueur depuis de nombreuses années.