Pourquoi faut-il oublier Maslow ? Approche critique d’un modèle dépassé.

Loin de chercher à vous faire oublier un concept intéressant, l’objectif de cet article sera de permettre au lecteur aguerri de développer une pensée critique sur un modèle aujourd’hui encore largement utilisé, au détriment des nouvelles avancées en sciences humaines et sociales. Nous verrons ainsi que nous pouvons aujourd’hui comprendre le fonctionnement humain différemment de la manière dont le concevait Maslow en 1943, il y a plus de 70 ans.

La hiérarchie des besoins de Maslow

Commençons par rappeler de quoi l’on parle. L’origine de la fameuse « pyramide des besoins » d’Abraham Maslow provient de ses travaux sur la motivation dans les années 1940. C’est d’ailleurs dans un article qu’il nomme « A Theory of Human Motivation » qu’il y expose en 1943 sa théorie d’une « hiérarchie des besoins ». Il regroupe cinq catégories de besoins qu’il hiérarchise, comme le présente la figure ci-dessous

La hiérarchie des besoins proposée par Maslow dans les années 40

Selon ce psychologue des années 40, ce serait l’accomplissement de ces besoins qui serait à l’origine des motivations humaines, et ce, dans leur ordre hiérarchique. C’est-à-dire que pour être motivé à rechercher une maison, il faut d’abord s’être bien nourri. Pour être motivé à se trouver des amis, il faut en premier lieu avoir soigné son rhume. Pour être motivé à être reconnu par ses pairs, il faut d’abord avoir une copine. Et pour être motivé à se former et développer des compétences, il faut d’abord que nos pairs nous aient reconnu comme compétent.

Autres théories liées à la satisfaction de besoins

Comme vous l’aurez compris, les principales critiques que l’on peut apporter à la théorie de Maslow se portent sur la hiérarchisation absolue des besoins. Il parait évident après la description précédente, qu’il n’est pas strictement nécessaire de répondre à un besoin pour être motivé à répondre au suivant. Maslow disait déjà de son système qu’il était dynamique. Ses successeurs insistent en dénonçant cet aspect « hiérarchique » des besoins.

Un des premiers à remettre en question cet aspect fut McClelland (1961). En effet, aujourd’hui les consultants enseignent le modèle de Maslow en le transposant au monde du travail (besoin de rémunération > CDI/information > relations collègues >  reconnaissance > formation). Or McClelland avant eux y avait réfléchit et, considérant que la pyramide n’était pas adaptée, avait proposé sa propre catégorisation non hiérarchique et non figée. De même, Alderfer (1969) après lui, a également proposé une structure non-hiérarchique de besoins dont l’apparition serait source de motivation.

D’autres approches complémentaires

Pour comprendre un concept aussi complexe que celui de la motivation, il peut être pertinent de s’intéresser à plusieurs approches. Car en effet, est-ce réellement nécessaire de ressentir un « besoin » pour être motivé à accomplir une tâche ?

On peut par exemple être plus précis, en comprenant l’origine des motivations par la satisfaction (Herzberg, 1969), ou par les caractéristiques d’une activité (Hackman & Oldham, 1976). Adams (1965), plus général, permet également de prendre en compte le sentiment de justice perçue dans l’organisation. Mais on ne peut pas non plus passer à côté de Deci et Ryan (1985) qui permettent  de considérer à la fois les facteurs externes et internes avec la théorie de l’autodétermination.

Une autre approche, largement étudiée, permet également de cerner les motivations et de les manager en fonction des buts, des objectifs associés à cette motivation. Elle fait d’ailleurs l’objet d’un article à part entière sur notre blog (cf : Des motivations et des buts de Yann Marchat).

Certaines de ces approches, notamment la théorie bi-factorielle d’Herzberg (1969), ont également l’avantage d’être assez pragmatiques pour être facilement traduites en actions concrètes sur le terrain. Elles permettent notamment de comprendre pourquoi un projet professionnel ou un souhait formation serait plus motivant qu’un autre, sans pour autant qu’un besoin en soi à l’origine.

Plus récemment

Aristote disait que « l’homme est un animal social ». C’est-à-dire que l’humain a par nature un besoin social tout aussi important que les besoins physiologiques. Aujourd’hui les avancées en neuroscience, psychologie clinique et sociale vont dans ce sens, l’équilibre psychologique étant également nécessaire pour la survie. Selon la hiérarchie de Maslow, cela ne signifierait pas que le « besoin social » devrait être à la base de la pyramide, mais plutôt omniprésent à chaque étage. Prendre en compte les relations sociales dans notre compréhension des motivations parait aujourd’hui nécessaire (Rutledge, 2013).

Ces dernières années, des modèles ont également été élaborés pour intégrer plusieurs approches (Kanfer, 1990, Roussel, 2000). Les théories intègrent de plus en plus l’aspect relationnel à la source des motivations. On le voit dans des approches par les comportements (Nuttin, 2015), ou par les caractéristiques de l’emploi (Blais et al., 1993 ; El Akremi, 2000). Cette dernière perspective relance par ailleurs l’intérêt d’une politique RH favorisant l’autonomie dans l’organisation, l’évolution professionnelle et les feedbacks sur les compétences comme facteurs à l’origine des motivations humaines.

Pour faire le parallèle avec Maslow : selon sa pyramide, si l’entreprise fait le nécessaire pour répondre au besoin de reconnaissance, cela n’aura aucune conséquence si elle n’as pas d’abord assuré une bonne sécurité de l’emploi. Il ne serait donc pas nécessaire de reconnaitre le travail des intérimaires et des CDD ? Selon ces derniers modèles au contraire, un intérimaire serait en réalité plus motivé à travailler efficacement si il est bien intégré, plutôt que si on se contente de lui donner un bon billet.

Pourquoi ce succès intemporel des modèles obsolètes ?

La diversité des approches et la complexité des notions abordées dans les sciences humaines font que lorsqu’une explication simple connait un franc succès, sa célébrité empiète sur les études qui la suivent. Des topiques de Freud, au schéma de communication de Shannon & Weaver (1949), les exemples ne manquent pas.

Pour le modèle de Maslow c’est encore plus vrai, du fait de sa simplicité. Bien qu’il soit totalement réfutable, le modèle est clair, intuitif, facilement schématisé en une pyramide. Une approche ludique qui séduit beaucoup, et ce en 1940 comme aujourd’hui.

Aussi, rappelez-vous de Maslow, mais oubliez la pyramide. Soyez curieux, et ne vous limitez pas à une seule explication. Etudiant, professionnel, formateur ou enseignant, en tant qu’éternel apprenant, il n’est jamais inutile de considérer d’autres angles de vue pour mieux comprendre le monde.

Quelques références :

Maslow, A.H. (1943). A Theory of Human Motivation, Psychological Review, Vol 50, No 4

Roussel, P. (2000). La motivation au travail: concept et théories. LIRHE, Université des sciences sociales de Toulouse.

Rutledge, P.B. (2011). Social Networks: What Maslow Misses – Psychology Today