Les quotas à l’embauche aident-ils vraiment ? Le cas de l’emploi des femmes

Comme nous l’avons vu dans un précédent article, les femmes apportent un réel bénéfice aux entreprises. Les études qui se sont portées sur cette question ont remarqué que le nombre de femmes dans l’équipe de travail devait être suffisant pour qu’elles puissent exprimer leur avis et que leur bonne influence sur la performance apparaisse.

Alors, quel est ce fameux nombre, dont parlent les chercheur.se.s et à partir duquel apparait l’avantage d’avoir des femmes dans son équipe ? Et s’il existe, la mise en place de quotas peut-elle vraiment être bénéfique ?

A la recherche du nombre magique

Avant d’aller plus loin, faisons un peu de théorie. L’équipe de travail se présente en elle-même comme un groupe, mais celui-ci est rarement homogène. En effet, il peut se diviser en plusieurs sous-groupes du fait de facteurs psychosociaux comme la catégorisation sociale. Ce processus cognitif nous incite à classer les autres et nous-même en catégories, chacune affublées de stéréotypes, afin de simplifier notre environnement. Par ce procédé, le groupe se découpera le plus souvent en deux sous-groupes, l’un majoritaire, l’autre minoritaire. Dans les équipes de travail actuelles, il s’agit fréquemment d’une majorité d’hommes et d’une minorité de femmes. La question se pose alors de savoir quelle taille doit avoir cette minorité pour générer un effet positif sur la performance. En d’autres termes, à partir de quel seuil la minorité féminine est suffisamment grande pour exprimer son point de vue ?

La réponse des chercheur.se.s est simple : trois !

Aussi incongru que cela puisse paraitre, plusieurs études montrent que les femmes permettent d’augmenter la performance si elles sont au moins trois1. En effet, c’est à partir de ce stade qu’elles peuvent vraiment exprimer leur point de vue. Une fois ce niveau dépassé, les femmes améliorent la qualité de la prise de décision, ce qui bénéficie à l’innovation de l’organisation et à la rentabilité de ses capitaux. Ce « nombre magique » a été trouvé en Europe, en Amérique du Nord et plus récemment en Asie2. Il se montre aussi robuste aux différences de mesures.

Si la présence d’au moins trois femmes dans les équipes bénéficie à la performance, pourquoi ne pas la rendre obligatoire ? Cela rejoindrait en tout cas certaines propositions politiques, comme celles visant à l’instauration de quotas. C’est le cas en France de la loi Copé-Zimmerman de 2011 qui prévoit un quota de 40% de femmes dans les conseils d’administration en 2017. De même, l’Union Européenne envisage d’atteindre ce taux d’ici 2020 dans ses entreprises. Mais la question est loin d’être simple et ces quotas posent plus qu’une question morale.

De la bonne intention à la perte de performance

En effet, comme le suggérait Karen J. Curtin, vice-présidente de la Bank of America : le débat se porte davantage « entre ceux qui pensent que nous devrions être plus divers parce que c’est la bonne chose à faire, et ceux qui pensent que nous devrions l’être parce que ceci augmente vraiment la valeur pour les actionnaires. A part si nous considérons le deuxième propos, et que les gens croient en lui, nous n’aurons que du “tokenism” » (recueillis par Brancato et Patterson, 19993). Ce « tokenism », dont parlent les anglophones, définit la pratique d’intégrer une personne issue d’une minorité dans un groupe majoritaire (par exemple : embaucher une femme dans une équipe traditionnellement masculine), afin de donner l’apparence de la diversité et de l’intégration sociale. En d’autres termes, il s’agit d’embaucher une personne avant tout parce qu’elle fait partie d’une catégorie sociale particulière (ex : femme, personne noire, handicapée, etc…), mais pas pour ses compétences.

Si l’action peut paraitre louable, en « forçant » l’égalité des sexes dans les entreprises, ses conséquences peuvent être plus sombres. En effet, les études montrent que les femmes améliorent la performance des entreprises, mais que cette bénédiction féminine se transforme en fardeau si leur présence est contrainte !4 Concernant les équipes dirigeantes des entreprises, Ahern et Dittmar5 suggèrent que les femmes embauchées sous raison de quota sont souvent plus jeunes et ont ainsi moins d’expériences que leurs collègues masculins.

Mais d’autres phénomènes viennent assombrir l’apport pourtant positif des femmes aux entreprises. En effet, lorsqu’elles sont dans l’équipe seulement par une volonté de répondre à une loi ou pour améliorer l’image de l’entreprise, elles sont davantage traitées comme des représentantes de leur catégorie.4 Autrement dit, l’attention de leurs collègues se focalise davantage sur le fait qu’elles soient des femmes. Ceci aboutit à une forte mise en lumière des stéréotypes. Or, dans un contexte où de nombreux postes sont stéréotypés comme masculins (p.ex. : manager, chef d’entreprise), les femmes se retrouvent dans un environnement menaçant. Elles seront soucieuses de ne rien faire qui puisse justifier les stéréotypes dont elles sont les victimes (pour définir cette véritable épée de Damoclès, les psychologues parlent de « menace du stéréotype »). L’anxiété que cette situation génère les empêchera d’être pleinement performantes.

Conclusion

Rappelons que les femmes apportent réellement à la performance des entreprises. Ce gain se manifeste particulièrement lorsque leur nombre dépasse le fameux chiffre trois, leur permettant ainsi d’être suffisamment nombreuse pour exprimer leur point de vue.

Néanmoins, les études montrent qu’imposer des quotas vient assombrir ce tableau plutôt que l’aider. En effet, les femmes embauchées sous contraintes sont souvent moins expérimentées que leurs collègues et subissent une plus grande anxiété du fait des stéréotypes qui pèsent sur elles. Cette situation les empêche de développer tout leur potentiel et nuit à leur performance, ce qui renforce les idées sexistes selon lesquelles elles ne seraient pas à leur place.

Les quotas nuisent plus qu’ils n’aident. En plus de perpétuer des principes discriminants, ils empêchent les femmes d’être reconnues à leur juste valeur. C’est en recrutant sur la base des compétences, et non en fonction de l’appartenance à une catégorie sexuelle, que les organisations pourront atteindre la mixité.

Pour aller plus loin

Références

  1. Joecks, J., Pull, K., & Vetter, K. (2013). Gender diversity in the boardroom and firm performance: What exactly constitutes a “critical mass?”. Journal of business ethics, 118(1), 61-72.
  2. Liu, Y., Wei, Z., & Xie, F. (2013). Do women directors improve firm performance in china? Journal of Corporate Finance, 28, 169–184.
  3. Citation de Karen J. Curtin, version originale : « There is a real debate between those who think we should be more diverse because it is the right thing to do and those who think we should be more diverse because it actually enhances shareholder value. Unless we get the second point across, and people believe it, we’re only going to have tokenism »
    IN Brancato, C. K., & Patterson, D. J. (1999). Board diversity in US corporations: Best practices for broadening the profile of corporate boards. Conference Board.
  4. Low, D. C., Roberts, H., & Whiting, R. H. (2015). Board gender diversity and firm performance: Empirical evidence from Hong Kong, South Korea, Malaysia and Singapore. Pacific-Basin Finance Journal.
  5. Ahern, K. R., & Dittmar, A. K. (2012). The changing of the boards: The impact on firm valuation of mandated female board representation. Quarterly Journal of Economics, 127(1), 137-197.

Benjamin Pastorelli

Benjamin est docteur en psychologie, consultant, thérapeute et enseignant au Mary Immaculate College (Irlande) Son expertise se centre autour de la diversité, de l'inclusion, des discriminations et de l'interculturalité. Il œuvre pour la mise en valeur des différences et la lutte contre les discriminations, afin de libérer le potentiel de la diversité. Benjamin est aussi vulgarisateur scientifique et blogueur depuis de nombreuses années.