Manager les compétences, pour quoi faire ?

Il n’y as pas de fausses notes ou de compétences inutiles, il n’y a que des sons qui ne s’accordent pas, et des talents inexploités. Le chef d’orchestre comme le DRH cherche à organiser un ensemble complexe en un tout cohérent et unifié.

La notion de compétence a connu un essor considérable ces dernières décennies, replaçant les individus au cœur des préoccupations. Peu à peu, elle s’est développée comme un  axe managérial, considérant l’employabilité des salariés (Stroobants, 1998 ; Tallard, 2001) par le développement de leurs compétences plutôt que leurs qualifications. Le management des compétences, pensé comme une gestion de l’humain, s’est progressivement installé dans les entreprises pour devenir un véritable levier stratégique. Y ont alors été associé une multitude d’outils au cours du temps, tant pour certifier, recenser, référencer qu’évaluer ces compétences. Cependant la notion de compétence en elle-même est encore aujourd’hui mal comprise, notamment à cause de la multiplicité des définitions existantes dans la littérature, et peut entrainer des problématiques variées.

Avec les enjeux éco-socio-culturels actuels, la responsabilisation des salariés vis-à-vis de leurs compétences, peut constituer un impératif pour la société actuelle. Compétences qu’ils devront alors maintenir actives, développer, ou même acquérir, pour répondre à des besoins d’entreprise ou sociétaux. Mais si le législateur souhaite imputer aux entreprises la responsabilité de l’employabilité des salariés, il importe de considérer la perception qu’en ont les salariés, et d’élaborer un management répondant aux contraintes légales, sociales, mais aussi humaines.

Qu’est-ce que le management des compétences ?

On peut généralement relever trois « niveaux » de démarches considérant les compétences dans les entreprises [1] :

  • la « gestion des compétences » : état des lieux, recensement des compétences disponibles, effectives. Porté par le DRH, le CV peut être un 1er outil utile.
  • le « management des compétences » : développement et mises à jour régulières des compétences techniques des métiers. Porté par les managers généralement au travers d’un EAE (Entretien Annuel d’Evaluation).
  • le « management par les compétences » : développement équitable des performances stratégiques collectives et individuelles pour un avantage concurrentiel. Relevant d’une politique RH, voire d’une stratégie d’entreprise, l’EP (Entretien Professionnel)  apparaît comme un outil majeur. Dans cette démarche, il est crucial de rendre saillante la co-responsabilité employeur-salarié.

Un 4e niveau pourrait être considéré, bien que moins présent dans les entreprises à l’heure actuelle. Il s’agit du « Management des talents ». Complétant le management par les compétences, il considère les « talents » comme l’excellence et la différence. Ce 4e niveau est encore peu développé en dehors des secteurs compétitifs. L’approche la plus pertinente dans cette perspective reste encore de considérer les niveaux de compétences évalués lors d’un EAE pour orienter l’évolution du salarié en fonction de son domaine d’excellence en plus de son domaine de compétence, lors des EP.

Une première difficulté : définir les compétences

En premier lieu il apparaît comme crucial de redéfinir la notion de « compétence » pour comprendre comment la manier. Levy-Leboyer (1996) la définit comme « la mise en œuvre intégrée d’aptitudes, de traits de personnalité et aussi de connaissances acquises, pour mener à bien une mission complexe dans le cadre de l’entreprise qui en a chargé l’individu, et dans l’esprit de ses stratégies et de sa culture. ». Si la multitude des définitions fait débat, on retiendra que de manière générale, il ressort 3 composantes : les savoir-faire, les savoirs théoriques, et les savoir-être.

A différencier de la « performance », qui réfère à une situation, à un instant précis, les compétences concernent un potentiel d’action dans une multitude de situations. Ainsi lorsque l’on parle « compétence » on se situe dans le domaine des « inférences ». C’est là toute la difficulté, à savoir que pour être inférée et certifiée, elle doit nécessairement s’observer et s’évaluer[2] en considérant le caractère général et transférable de la compétence.

Savoir-faire

Les compétences techniques, opérationnelles, qui se réfèrent aux actions précises, indispensables dans la réalisation de tâches quotidiennes, sont généralement les plus simples à travailler. Une fois identifiées, formulées et inscrites à un référentiel, elles peuvent être annuellement vérifiées et permettre un management basé sur l’évolution des salariés en fonction du nombre et du niveau de compétences maîtrisées.

Savoirs théoriques

Les connaissances des salariés sont peu utilisées lorsqu’elles ne permettent pas de mettre en avant un savoir-faire. Elles sont donc souvent distinguées de la notion de « compétence » au sens où l’entend l’entreprise. Cependant, avec les nouvelles obligations de la réforme de 2015, relative à la formation professionnelle, il peut s’avérer d’autant plus utile de les recenser afin de les traiter dans un entretien professionnel, s’intéressant aux souhaits et projets d’évolution du salarié (Cf. L’entretien professionnel du même auteur).

Savoir-être

Les attitudes, caractères, manières d’être des salariés, sont des composantes importantes pour les managers dans le management des compétences. Cependant, le travail sur les savoir-être est à effectuer avec précautions. Souvent trop subjectif, ou utilisé de manière à obtenir des profils « normés » de travailleurs, la grande difficulté est de pouvoir les considérer sans pour autant entraîner des biais discriminatoires ou forcer les salariés à agir comme des machines. Pour cela, il reste impératif de bien les distinguer et les travailler indépendamment des savoir-faire, et de les considérer de la manière la plus objective possible (par exemple en définissant des objectifs mesurables, clairement définis) en particulier s’ils font l’objet d’une évaluation (TGI Paris, 6 mars 2012, n°11/15323).

Compétences transversales

Une autre notion souvent traitée en entreprise est la notion de compétence transversale. Celle-ci, entre les trois composantes, distincte des compétences techniques, se  réfère aux comportements communs à différents métiers dans un secteur d’activité particulier (ex : « Connaitre et respecter les procédures d’hygiène en vigueur dans l’entreprise »). Elles sont généralement essentielles à vérifier fréquemment, qu’il y ait ou non en place des entretiens individuels formels.

Travailler les compétences

Les études montrent que lorsqu’un système de management des compétences est assez bien travaillé, la motivation des salariés et leurs performances individuelles et collectives peuvent relativement croître. Cependant pour limiter les biais négatifs (liés à une subjectivité des critères ou une responsabilisation des salariés trop importante, sans compréhension proportionnelle), il est essentiel d’élaborer des outils, des objectifs généraux, distinguant les différentes composantes des compétences souhaitées et envisagées pour un métier donné. Chaque salarié de l’entreprise doit pouvoir saisir l’intérêt de la démarche tant pour la productivité de l’entreprise que pour leur évolution et leur employabilité. Aussi une telle démarche doit considérer et mettre en avant ces dimensions, et rendre les objectifs compréhensibles et assez saillants.

La formulation des compétences est un point crucial, pour travailler sur de réelles compétences stratégiques. Un savoir-être doit être accompagné d’une définition et d’objectifs quantifiables précis. Un savoir-faire doit commencer par un verbe d’action et être formulé de manière générale pour être transposable d’une activité à une autre. Enfin, il est conseillé de ne mettre en avant un savoir théorique de manière formelle, que dans le cas où l’employeur envisage de le mettre à profit.

De manière générale nous pouvons retenir qu’il est essentiel de les définir en fonction des besoins et projets de l’entreprise, mais également (en particulier pour les savoir-être) des besoins et projets des salariés eux-mêmes.

Un enjeu majeur pour aujourd’hui, crucial pour demain

Actuellement, le management des compétences apparaît comme un enjeu de taille, pour faire comprendre aux salariés l’intérêt de travailler leur employabilité, pour améliorer les performances de chacun jusqu’à asseoir un véritable avantage concurrentiel, ou encore pour favoriser l’évolution professionnelle. Cependant s’il est encore difficile à construire, à définir, ou même à comprendre, il pourra s’avérer d’une importance cruciale à l’avenir.

Dans sa conférence (cf. video ci-dessous), Rainer Strack (2014) met en avant la croissance d’une potentielle pénurie internationale de main d’œuvre avec le déplacement du pic démographique. Il traite également du problème lié au développement technologique, non pas en fonction du nombre d’emplois qu’il fait varier, mais plutôt vis-àvis des nouveaux talents qu’il implique.

Si la France paraît moins directement touchée par la pénurie de talents qu’il décrit, que des pays comme l’Allemagne, il reste d’une importance cruciale pour toutes les entreprises internationales de considérer le problème, d’identifier ce que souhaitent les salariés, de développer leurs compétences, et de les reconnaître afin de créer, d’attirer et de retenir les nouveaux talents.


[1] Cohen, A. & Soulier, A. (2004). Manager par les compétences : un virage à prendre

[2] Leroux E. (2015). Quel impact exerce l’évaluation des compétences au niveau de la fiabilité sociale de l’entreprise ?, Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels (Vol. XIX, p.37-54)

Pour aller plus loin :

Le Boterf, G. (2000) Construire les compétences individuelles et collectives, Paris, Éditions d’organisation

Zarifian, P. (2005). Compétences et stratégies d’entreprise, Liaisons